Compte rendu :    Alain RABATEL (dir.), 2004, Interactions orales en contexte didactique, Mieux (se) comprendre pour mieux (se) parler et mieux (s')apprendre, Ouvrage publié avec le concours de l'IUFM de Lyon et de ICAR Université Lumière-Lyon2, Presses Universitaires de Lyon, Lyon, 370 pages.
par Jacques Treigner, laboratoire Dyalang FRE CNRS 2787

Alain Rabatel, "Introduction, L'oral réflexif et ses conditions d'émergence", 5-27

En introduction, Alain Rabatel présente cet ouvrage collectif, (seize co-contributeurs), en mettant en avant les convergences, par exemple le choix majoritaire d'une approche oralo-graphique, sans oublier ce qui différencie les diverses contributions des autres orientations actuelles qui structurent la recherche sur l'oral, notamment en contexte scolaire. Ce faisant, sa présentation n'oublie pas les dimensions politiques, historico-institutionnelles, sociologiques, culturelles, psychologiques des pratiques langagières orales en situation d'enseignement.

Alain Rabatel, "Déséquilibres interactionnels et cognitifs, postures énonciatives et co-construction des savoirs : co-énonciateurs, sur-énonciateurs et archi-énonciateurs", 29-66

Afin d'analyser les échanges en classe de CM2 lors d'une séance d'initiation à l'espagnol, (langue 2), Alain Rabatel propose une synthèse de différents travaux, (dont les siens) : communication inégale, postures (cognitivo)langagières, instances énonciatives, (co-sur-archi-énonciation), propre à rendre compte des tensions et dissensus interactionnels en situation d'enseignement-apprentissage. La conclusion invite :
- au plan linguistique à poursuivre les recherches sur ces diverses postures énonciatives qui " construisent une sorte de topique énonciative ", (page 62).
- au plan didactique à favoriser chez les acteurs les changements de positions, (au sens où l'entend Catherine Kerbrat-Orecchioni).

Robert Bouchard, " Apprentissage " de l'oral en L1 et pratiques de classe : un débat en CP/CE1, analyse interactionnelle et énonciative d'un dispositif innovant, le " petit laboratoire ", 67-89

Robert Bouchard analyse un dispositif pédagogique innovant, " Le petit Laboratoire ", aux effets didactiques intéressants. Il s'agit d'une situation orale, de débat, de prise de distance réflexive de jeunes enfants de CP/CE1, par rapport à leurs apprentissages scolaires, situation d'ordinaire plus fréquente avec des élèves plus âgés. L'auteur en cerne les effets en termes de tours de parole, de places et positions locutoires, de maîtrise du genre, d'apprentissages méta, de développement des compétences narratives, explicatives, argumentatives. Il plaide non pas pour un enseignement formel, mais pour une didactique de l'activité, de l'expérience langagière acquise et exercée en situations.

Régine Delamotte-Legrand, "Un oral au quotidien : narration et explication dans des conversations enfantines", 91-114

L'auteure, dans le droit fil de ses précédentes recherches, définit sa contribution, non pas comme un travail didactique mais comme un travail intéressant la didactique : il s'agit en effet de mieux connaître, reconnaître et prendre en compte les pratiques et les représentations du langage des enfants, et des élèves. Au sein de communications trilogiques entre pairs, dans des situations familiales, extrascolaires, il s'agit là d'une originalité parmi les contributions de l'ouvrage, l'auteure analyse deux conduites différentes, voire souvent perçues, conçues comme opposées, les conduites narrative et explicative. Elle étudie les changements de position, (haute/basse, co-sur-énonciative), et montre que dans le cadre d'échanges entre pairs, a priori plus symétriques, plus égaux, si la narration se révèle consensuelle, nourrie de coopération, l'explication apparaît plus dissensuelle .
" La prise de parole du narrateur crée une asymétrie de nature plus consensuelle, alors que celle d'expliquant provoque une asymétrie beaucoup plus conflictuelle " (page 111).
Cette dernière implique une plus grande prise de risques, et génère plus d'évolutions dans les rapports de places. Mais les deux conduites donnent lieu à des échanges métalinguistiques.
La conclusion incite à remettre en cause les catégorisations fixistes, et invite à la nuance : " Bien évidemment toutes ces considérations seraient à repenser lorsqu'il s'agit de situations didactiques qui articulent les relations symétriques et dissymétriques dans un cadre hiérarchique où les dominances ont des sens institutionnels historiquement et socialement construit "s, (page 113).

Frédéric François, "Où est "la pensée" ? Dans la tête, dans les mots, dans leur circulation, entre nous, les mots et les choses… ? L'exemple d'échanges maître-élèves et entre élèves dans une classe de CM1, 115-141

Frédéric François, à travers l'analyse dynamique, ou plutôt selon sa formule à travers sa proposition de lecture, d'échanges entre des élèves et leur enseignant autour de la punition, explore la complexité des relations entre le dit et le pensé. Complexité de penser ce qui est mouvement, dialectique et dialogique, complexité des rapports de l'autre en nous et de nous à l'autre.

Laurent Fillietaz, Itziar Plazaola Giger, "Oralité et cadrage des activités en classe d'immersion. Une approche praxéologique", 143-166

Cet article se veut directement didactique, voire interdidactique, puisqu'il se donne pour objet d'étude l'enseignement par immersion d'une langue seconde dans le cadre d'une école genevoise internationale bilingue français anglais accueillant des élèves francophones ou anglophones, voire ni l'un ni l'autre. Les séquences de classe, (correspondant à notre sixième de collège), portent sur la résolution en français d'exercices de mathématiques. Dans ces situations aux doubles fonctionnalités, (apprendre les mathématiques et en maîtriser les discours dans une langue seconde, agir et apprendre), les auteurs s'attachent à mettre en évidence comment l'adulte enseignant cadre les activités, dans une situation : " conçue comme stratification d'enjeux et comme spécification progressive de principes organisationnels qui structurent l'interaction ". (voir en bibliographie le concept de polyfocalisation configurationnelle développé par L. Fillietaz, 2002). Les auteurs s'interrogent à la fois sur les choix didactiques possibles : didactique ou interdidactique de l'oral ?, ainsi que dans ce dernier cas sur les conditions de l'efficacité d'une telle approche : " En d'autres termes, il apparaît que l'acquisition d'une compétence langagière en langue seconde ne repose ici ni exclusivement ni spécifiquement sur l'omniprésence des activités métalinguistiques propres à la lecture de la consigne. En contexte immersif, elle découle plus globalement du potentiel didactique lié aux pratiques langagières elles mêmes et à leur statut de médiations : en confrontant leurs productions orales à des enjeux réels (cadrer une activité polyfocalisée), les élèves apprennent à maîtriser des situations langagières et à entrer sans cesse dans de nouveaux contextes, avec tous les réaménagements linguistiques et " posturaux " que cela implique ".(page 163).

Michèle Lusetti, "Interactions verbales et gestion d'une tâche scolaire entre pairs", 167-202

Michèle Lusetti se propose, dans le cadre d'un enseignement de l'espagnol en classe de CM2, d'analyser un fonctionnement interactionnel peu étudié : les interactions entre pairs au sein d'un travail par groupes. Pour ce faire, elle convoque divers référents théoriques, (analyse de discours, analyse conversationnelle, sociologie, psychologie, philosophie du langage). Elle étudie tout d'abord les rapports de places au sein des interactions avant de s'intéresser aux rapports à la tâche et aux apprentissages des élèves. Dans un premier temps, elle se réfère aux travaux de la proxémique, et emprunte à Catherine Kerbrat-Orecchioni, notamment les concepts de taxèmes-placèmes, (verbaux, paraverbaux, non verbaux), afin d'analyser les formes, contenus, structures des interactions. Dans un second temps, elle met en évidence les représentations du savoir et de la tâche, les méthodologies de résolution de problèmes, la mobilisation des savoirs antérieurs, les procédures méta, la définition de l'action développées par les élèves. Ses analyses l'amènent à conclure que le travail de groupes ne constitue pas automatiquement les élèves en collaborateurs ou partenaires d'apprentissage. Il y a donc la nécessité d'organiser les apprentissages dans ce type d'organisation de classe qui lui apparaît en France comme un impensé, et un " indit " de l'Institution. Elle renvoie alors à l'expérience canadienne des groupes de discussion, (genre hybride), et conclut qu'il convient de former les élèves, les maîtres, et de poursuivre la recherche en ce domaine.

Solveig Lepoire-Duc, "Réalisations de l'accord dans un dialogue didactique : vers une typologie des prises de position de l'adulte", 203-228

S'interrogeant sur les tensions entre l'improvisation et la typification, entre l'imprévisible et le prévisible, entre les accommodations circonstancielles et les routines hautement schématisées et régulées, qui balisent l'action de l'enseignant, l'auteure " s'est fixé pour objectif général de préciser la nature des ressources typifiantes que les enseignants mobilisent pour construire leur posture didactique " (page206). Pour ce faire, elle se centre sur les postures de l'enseignant au cours de séquences d'initiation à l'espagnol en classe de CM2 :
- d'une part sur la complexité et l'évolution des rôles de l'enseignant (centré/décentré, vertical/horizontal, opposition/co-construction),
- d'autre part sur ses stratégies évaluatives, (types, moments, lieux).
A partir d'un abondant corpus, cela lui permet d'amorcer une typologie des prises de position d'un enseignant, notamment sur son degré d'engagement, de désengagement vis-à-vis des propositions des élèves ou sur son degré d'adhésion, (accord total, statu quo, accord partiel, désaccord).

Peter Griggs, "Articulation entre L1 et L2 dans la co-construction des savoirs langagiers en classe d'initiation à une langue étrangère", 229-248

Le corpus analysé se compose de deux séances d'anglais en classe de CE2, animées par une enseignante en cours de formation et d'élaboration de ses pratiques professionnelles. Il s'agit d'une part de la compréhension et de la restitution d'un texte oral, d'autre part d'une séquence méta consacrée au passé simple. Le projet est " d'évaluer à quel point il est possible de conjuguer en classe d'initiation l'apprentissage de la langue étrangère et un travail de conscientisation métalinguistique visant également la langue maternelle " (page 230).
Reprenant à Vygotski , le concept de médiation de la langue maternelle, et à Weinreich celui de bilinguisme subordonné, ,Peter Griggs met en évidence par l'analyse de son corpus les effets d'étayage ou de contre-étayage opérés d'une part par les interactions Langue1/langue2, d'autre part par les inter-actions élèves/maîtres.

Alain Berrendonner, "Grammaire de l'écrit vs grammaire de l'oral : le jeu des composantes micro- et macro-syntaxiques", 249-264

La contribution essentiellement linguistique propose un modèle encore évolutif, (voir la bibliographie), micro et macro-syntaxique de l'oral, doté d'une métalangue spécifique : " clauses, (rapports de rection), énonciations, périodes ". Cette méthodologie oppose, avec des nuances, oral et écrit, en termes d'organisation syntaxique mais aussi de coût cognitif :
" Il faut donc s'attendre à ce que les sujets parlants aient tendance à simplifier leurs constructions microsyntaxiques, quitte à laisser implicites bon nombre d'informations pertinentes. Inversement, la communication écrite, qui a lieu en différé, permet toutes les médiations grammaticales que l'on veut ; mais le fait qu'elle se déroule in absentia rend plus coûteuse la réparation d'éventuelles équivoques, et pousse à coder plus explicitement l'information, donc à recourir davantage à la microsyntaxe ", (page 257).
Alain Berendonner plaide pour une poursuite de la recherche linguistique dans une perspective didactique : " mais l'inscription d'une didactique de l'oral comme objectif officiel dans les programmes mène tout droit à sa mise en place, avec toutes les distorsions et artefacts que l'on peut craindre de voir se ritualiser une telle occasion. Poursuivre la recherche dans la voie qui a été esquissée ici peut donc être un moyen d'éviter que la grammaire du français parlé, après celle de l'écrit, ne se trouve surchargée d'un corpus de normes par trop arbitraires ", (page 263).

Frédérique Gayraud, Bruno Martine, "Complexité syntaxique et difficulté de traitement : l'exemple des relatives", 265-286

Etudiant la complexité de la relative, aux plans linguistique et psycholinguistique, les auteurs étudient la réception et la production de relatives non prépositionnelles, en qui et en que, incises ou à droite, dans des textes oraux et écrits, narratifs et expositifs, par des " locuteurs " de quatre tranches d'âges : 9/10ans, 12/13ans, 15/16ans, adultes. Les données recueillies sont essentiellement psycholinguistiques, mais intéressent la didactique, (génèse de l'acquisition, effets situationnels).

Marie-Cécile Guernier, "Genèse discursive, exploration paradigmatique et associations lexicales", 287-310

Marie-Cécile Guernier constate la difficulté d'une analyse de discours totalisante pour reprendre l'expression de Jean-Paul Bronckart, convoque une approche guillaumienne, praxématique du dit, du dire, du à dire, pour étudier, au sein de la production de discours oraux longs, les compétences lexicales à l'œuvre dans et par les explorations paradigmatiques et les rapports associatifs décrits par Saussure. Le corpus strictement linguistique, (hors non-verbal, para-verbal, supra-segmental), est composé d'entretiens semi-directifs en CM2, (dissymétriques adulte/enfant, questionneur/questionné), à partir de la question large : " Peux-tu me dire ce que vous faites en français cette année ? ", (page293).
Au-delà de la description des compétences à l'œuvre, (à la fois en termes d'opérations cognitives et langagières), l'article débouche sur des perspectives didactiques. L'auteure interroge le travail effectué à l'école qui fait peu de place à la dimension sémantique. Elle propose au sein d'une didactique de l'oral de lier la langue orale et le travail lexical, l'énonciation et la prise en charge de son propos.

Jean-Marc Colleta, "Kinésie et variation : comment les enfants bougent au fil des discours", 311-333

Jean-Marc Colletta plaide l'importance de s'intéresser :
- aux conduites discursives orales dans la génèse tardive,
- aux conduites plus ou moins monogérées (narratives/explicatives),
- aux conduites multimodales, linguistiques, prosodiques, kinésiques, chez des enfants de 6 à 12 ans.
Au plan psycholinguistique, l'étude met en évidence que, dans l'acquisition, le verbal ne vient pas remplacer le non-verbal, mais qu'il y a des évolutions simultanées des conduites linguistiques et posturo-mimo-gestuelles, aussi bien pour le récit que pour l'explication. Au plan didactique, l'auteur souligne qu'il peut y avoir concordance ou discordance entre le verbal et le non-verbal, mais que les élèves discordants, non-concordants, sont, semble-t-il, en meilleure situation potentielle d'apprentissage :
"Ces travaux illustrent tout à fait l'importance que revêtent les représentations visuo-kinésiques pour la pensée conceptuelle, et confirment les intuitions de Vygotski (1985) concernant la dynamique des apprentissages et l'existence, pour toute acquisition conceptuelle, d'une zone de proche développement ", (page328).

Mary-Annick Morel, "Intonation et regard dans la structuration du dialogue oral en français", 335-351

Ces deux dernières contributions sont liées par des activités communes de recherche, (voir ci-dessous).
Mary-Annick Morel, après un bref rappel des phénomènes intonatifs en français, se centre sur ceux-ci, en essayant d'élaborer une grammaire de l'intonation en discours: co-énonciation et variations mélodiques, co-locution et variations d'intensité, allongements finaux et travail actif de formulation, pause silencieuse et interlocution, unité intonative du paragraphe et articulation préambule-rhème.
Le chercheur montre qu'au-delà du rôle des pauses, de l'intensité, de la mélodie dans la gestion des tours de parole, le posturo-mimo-gestuel y remplit également une fonction notamment au niveau du regard et de la position de la tête. Le premier participe de la co-énonciation. La seconde de la co-locution.
L'étude constitue un outil précieux pour les enseignants et les formateurs, d'une part pour analyser les comportements interactionnels, d'autre part pour fonder une approche moins parcellaire de l'oral.

Danielle Bouvet, "Les indices posturo-mimo-gestuels de la parole et leur interaction avec l'intonation", 353-366

Danielle Bouvet, forte de son expérience d'orthophoniste auprès d'enfants sourds, décrit les rapports tête-parole-parole-intonation, dans une approche multimodale des interactions commune à celle de Mary-Annick Morel, (voir ci-dessus) : " parler c'est donner à entendre, mais aussi se donner à voir " (page355).


Cet ouvrage collectif propose donc, une grande diversité et richesse d'approches, par le biais de ses seize contributeurs et de ses quinze contributions, qui bénéficient pour la quasi-totalité d'abondantes bibliographies. Les orientations des auteur(e)s sont pour certains plus didactiques voire interdidactiques, pour d'autres plus linguistiques au sens le plus strict, ou bien le plus extensif, incluant le verbal mais aussi le paraverbal et le non verbal, voire le proxémique. La réflexion se montre socio et psycholinguistique, explorant les articulations langage-cognition, langage et culture, également ethnolinguistique voire philosophique. Il ne s'agit pas, comme l'indique bien le titre, d'un ouvrage essentiellement didactique, mais d'un intérêt très fort pour la didactique. Le lecteur y trouvera un abondant corpus et une forte dimension méthodologique. Les outils d'analyse, parfois d'une grande complexité, des interactions orales en contexte (inter)didactique intéresseront à l'évidence le linguiste mais aussi le didacticien et le formateur.