Revue de sociolinguistique
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Université de Rouen

Laboratoire Dylis


Débats

 



Sommaire





   glottopol@gmail.com

 

ISSN : 1769-7425

 

 


A propos du n°1, janvier 2003

- Entretien avec Dominique Caubet
- Réponse de Dora Carpenter-Latiri
- Glottopolitique, ma part de vérité, par Jean-Baptiste Marcellesi

Contributions des lecteurs



Entretien avec Dominique Caubet

A propos de l'article de Dora Carpenter-latiri " L'arabe, butin de guerre ? "

Nous publions dans le présent numéro de GLOTTOPOL un article de Dora Carpenter-Latiri, "L'arabe, butin de guerre". Dans ce texte, l'auteur analyse les points de vue des spécialistes français concernant l'enseignement de l'arabe en France. Elle pose la question suivante : faut-il instaurer un enseignement autonome de l'arabe dialectal ou au contraire donner la priorité au littéral ? Dans les faits, même si elle adopte une position qu'elle présente comme conciliatrice (enseigner les deux variétés), on sent bien que sa préférence va à la deuxième solution (la priorité au littéral), Dominique Caubet étant explicitement présentée comme la personne qui défend la première solution…

Dominique Caubet nous a fait part de son mécontentement : elle considère que ses positions ont été caricaturées et porte un jugement sévère sur cet article. Par ailleurs, elle reproche à Dora Carpenter-Latiri de la mettre en cause sans avoir pris la peine de l'interroger. Nous lui avons donc proposé d'expliquer son point de vue, ce qu'elle a fait le 28 janvier 2003 au cours d'un entretien de 58 minutes avec Claude Caitucoli. La transcription de l'entretien est disponible au format .pdf.

Télécharger l'entretien :

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Réponse de Dora Carpenter-Latiri

J'ai lu la réponse de Dominique Caubet et je la trouve très virulente à mon égard. Je trouve très bien que Dominique ait eu l'opportunité de répondre dans la revue même si ma pensée y est mal interprétée. Comme je l'ai dit dans mon article, pour ce qui concerne la réforme de l'épreuve du bac, c'est surtout Dominique qui s'est exprimée dans les médias et je la cite en rapportant ses propos. Mon but était d'équilibrer le débat en présentant des points de vue moins représentés.

Je voudrais insister sur le fait que mon travail est un travail de recherche universitaire réléchi que j'ai rédigé dans un état d'esprit modéré et dans lequel j'ai pesé tous mes mots. Je suis douloureusement surprise qu'elle me situe dans le camp des ennemis du dialectal : ce n'est certainement pas le cas. Le débat contre le dialectal existe toujours malheureusement et je ne fais pas partie de ses détracteurs. Je ne fais pas non plus partie des détracteurs du littéral.
Dans le contexte actuel, c'est la connaissance de l'arabe dans sa diversité qui est nécessaire.

Glottopolitique: ma part de vérité

par Jean-Baptiste Marcellesi
Université de Rouen - CNRS UMR 6065 DYALANG


Le premier numéro de la revue "en ligne" GLOTTOPOL de l'équipe rouennaise est justement consacré aux rapports entre la "glottopolitique" et l'"Etat-nation". Foued Laroussi m'a demandé d'intervenir sur ce point qui me touche à cœur et qui a été un de nos thèmes de travail manifestés entre autres par les numéros de Langue Française n° 25 et de Langages n° 83 en passant par le Colloque de glottopolitique. En relisant mes écrits dans ce domaine pour le livre que Thierry Bulot et Philippe Blanchet publient en ce moment même à l'Harmattan, je n'ai pas cru possible de refuser de livrer aux lecteurs de GLOTTOPOL quelques réflexions sur ce sujet, plus pour relancer le débat que pour reproduire en détail ce que chacun peut retrouver facilement.


POURQUOI "GLOTTOPOLITIQUE ?"


La destinée des termes des Sciences Sociales est souvent l'occasion d'une adultération. Le colloque international de sociolinguistique avait déjà souligné comment beaucoup s'étaient emparés ici ou là d'un mot nouveau pour continuer à faire ce qu'ils faisaient déjà sous une autre enseigne : voir notamment la table ronde finale des Actes publiés par Bernard Gardin , qui a été un des esprits les plus novateurs dans la discipline - qu'il me soit permis ici de lui rendre hommage puisqu'il vient malheureusement de nous être enlevé - et moi même. Il peut en aller de même pour "glottopolitique". Certes il ne vient à l'idée de personne de réserver à l'inventeur d'un terme (pour peu qu'on puisse l'identifier) l'exclusivité de la définition. Mais il me semble légitime de souhaiter qu'on dise clairement ce qu'on entend par le mot et qu'on explique les raisons pour lesquelles on opère telle ou telle distorsion. Nous avons, à Rouen, opéré sur "glottopolitique", différencié de "planification linguistique" ou de "politique linguistique", tout un travail conceptuel, notamment Louis Guespin et moi-même, et je crois que le texte paru dans le numéro de LANGAGES consacré justement à cette discipline doit être repris comme une base de débat et de définition.

[NDLR : le texte est téléchargeable sous la rubrique Archives.]

REJETER LA STIGMATISATION VERBALE (JACOBINISME ET ETAT-NATION)

La rigueur dans la dénomination et dans la définition est d'autant plus nécessaire que le sociolinguiste n'est pas seul à proposer une terminologie. Le politique notamment occupe le terrain à sa manière, avançant des mots qu'il piège volontiers. J'ai montré, par exemple, comment "Jacobinisme" était employé tout à fait légitimement pour désigner un ensemble de principes et de pratiques politiques et sociaux caractérisés par la constitution de l'An II mais aussi par l'ensemble des mesures de circonstances prises de Juin 1793 à Juillet 1794. En revanche vouloir faire endosser aux seuls Jacobins la tendance lourde à uniformiser linguistiquement et à centraliser au maximum la France, soit pour se réclamer de ce terme soit pour le vilipender, est une stigmatisation verbale. Un mouvement de très longue durée, engagé plusieurs siècles avant Juin 1793 et poursuivi par tous les régimes qui ont succédé aux Jacobins à partir de Juillet 1794 ne peut se réduire au rapport de Barère sur "les instituteurs de langue"… chargés de l'enseignement du français aux citoyens qui en avaient besoin. Pour ceux qui croient bon d'utiliser le schéma réducteur impliqué par l'emploi erroné de "Jacobinisme", rappelons que si la Constituante avait prévu de traduire les décisions officielles dans les langues régionales, c'est Louis XVI qui a opposé à ce projet son veto. Et si l'Abbé Gégoire a pu être, lui, une figure de proue de cette démarche glottopolitique unicisante (notamment par le décret du 2 Thermidor an II, jamais appliqué), il a sauvé sa tête le 9 Thermidor. Pas davantage les Jacobins n'ont inventé ni la départementalisation (décidée par la Constituante), ni l'encadrement préfectoral, œuvre de Napoléon Bonaparte. Du reste, imaginons que les défenseurs des langues régionales (dont je suis) soient désignés comme "Vendéens" ou "Chouans" ou "Girondins".
Quelle dérision ! "Jacobinisme" pour désigner une politique tendant non pas à doter d'une langue commune un pays diversifié linguistiquement mais à rendre cette langue unique est un terme qui substitue la stigmatisation, l'ostracisme au débat.

Un autre mot fonctionnant à l'ostracisme verbal est "Etat-nation" : pour moi, il s'agit d'un de ces termes que chacun utilise à sa convenance avec toujours, quand même, une intention de délégitimisation. On entend employer ce mot avec divers sens dont le trait commun est la stigmatisation du contenu désigné, quelle que soit la signification exacte, pour peu qu'on lui en fixe une. Si on prenait le " trait d'union " dans sa fonction fondamentale, "Etat-nation" devrait englober le signifié d' "Etat" et le signifié de "nation". Ce serait un Etat qui est en même temps une nation. Signification tout à fait légitime, "Etat" référant à un espace humain et /ou géographique dans lequel s'exercent des formes de pouvoir (fixation de règles, de devoirs et éventuellement de droits). Un "Etat" peut par exemple rassembler pendant un certain temps (parfois durablement) des populations disparates quant aux règles de vie, à l'histoire, à la culture, à la langue etc. Il peut donc y avoir des Etats qui ne correspondent pas à une nation et des nations qui ne correspondent pas à un Etat, que celui-ci ait existé dans le passé et ait disparu, ou ait été détruit, qu'il soit en projet chez la majorité ou une minorité de ceux qui en relèveraient. C'est alors que "nation" correspond parfois à un des sens de "peuple". Normalement " tat-nation" devrait donc désigner une forme supérieure de construction politique. Ce n'est pas dans ce sens, légitime, que l'emploient ceux qui y voient une unité lexicale de stigmatisation.
D'une manière générale, l'emploi stigmatisant consiste à faire signifier à ce mot "Etat qui ne correspond pas à une nation", ou "fausse nation dont l'existence tient au cadre étatique qui l'a déterminée".
C'est alors que l'on rencontre deux conceptions opposées de la "nation" ou du "peuple": la nation "à la française", fondée sur la volonté des citoyens et la nation "à l'allemande", issue de la communauté ethnique et culturelle. La conception développée par le romantisme allemand au XIXe siècle est fondée sur la langue, considérée par un tour de passe-passe comme UNE et sur le territoire (quitte à bricoler des "frontières naturelles"… mobiles), la culture, les comportements politiques et les valeurs humaines communes. Bien sûr, il s'agit là de principes sur lesquels les nations prétendaient être fondées et non pas sur lesquels elles sont nécessairement fondées de manière effective. Ni du rattachement automatique des individus aux fondamentaux du pays où ils vivent. La France a pu ou peut faire à telle ou telle époque une large part à des justifications ou des comportements racistes ou au moins raciaux. Et en sens inverse, bien des Allemands ont stigmatisé et combattu le racisme. C'est que l'équation "une langue, un peuple, une nation, un Etat" est discutable ; dans bien des cas, on rattache des variétés linguistiques à "une" langue parce qu'une construction étatique ou plus largement politique voire géographique a imposé comme système commun l'une de ces variétés ou un ensemble de choix formels. De plus, contrairement à ceux qui affirment qu'il y a un peuple corse parce qu'il y a une langue corse, je crois avoir montré qu'il y a quelque chose qu'on appelle "langue corse" parce qu'il y avait une communauté historico-géographique corse. Et si l'on ne s'en tient pas à la langue littéraire écrite, l'Allemagne n'est pas plus unifiée que la France.

QUELQUES FONDAMENTAUX

Je voudrais donner à la suite, plus comme des sujets de discussion que comme des piliers doctrinaux, quelques assertions que, selon moi, nous, l'équipe rouennaise, avons avancées dans le domaine de la glottopolitique. On peut les discuter et peut-être les rejeter au terme d'un débat. Mais si on passe sans les prendre en considération, la glottopolitique que l'on façonnera sera simplement une démarche traditionnelle dont on aura changé le nom. D'abord les langues ne sont pas un objet "toujours - déjà-là". On doit les assumer dans leurs variations temporelles, spatiales, sociales. Il faut avoir à l'esprit qu'il y a une constante glottogenèse toujours à l'œuvre et que la seule naissance d'une langue est sa reconnaissance. La conception unifiante (ce qui ne veut pas dire simplement unificatrice) conduit nécessairement à des formes d'aliénation. Certes la planification linguistique se raidit devant la variation… Ce n'est pas une raison pour aligner sur elle la glottopolitique.
D'autre part, sur le terrain, dans le temps ou dans la société, les langues ne sont pas souvent des réifications aux limites bien nettes. Ce sont des objets difficiles à compter (combien y a-t-il de langues romanes ?) si on voit leur existence comme des processus marqués par la dialectique de la satellisation vs la différenciation, l'identité linguistique étant un élément déterminé même s'il peut devenir et devient souvent ensuite surdéterminant si on prend pour la réalité ce qui n'en est que l'ombre. D'où la nécessaire prise en compte, pour l'enseignement, de stratégies pluralistes et, quand il y a lieu, d'une saisie polynomique.


Bref je souhaite que le débat commence.

BIBLIOGRAPHIE

GUESPIN L., MARCELLESI J.B., 1975, " Pour la glottopolitique ", dans J.B. Marcellesi (dir.), pp. 5-31.
MARCELLESI J.B. (dir.), 1975, " l'enseignement des "langues régionales" ", LANGUE FRANCAISE N° 25, Larousse.
MARCELLESI J.B. (dir.), 1986, Glottopolitique, LANGAGES N° 83, Larousse.
MARCELLESI J.B., BULOT T., BLANCHET Ph. (colls), 2002, Sociolinguistique (épistémologie, langues régionales, polynomie), Paris, L'Harmattan.
GARDIN B., MARCELLESI J.B., 1980, Sociolinguistique : approches, théories, pratiques, Publications de l'Université de Rouen et Presses Universitaires de France (2 vol).

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Dernière mise à jour :
25 janvier 2010


 

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