Revue de sociolinguistique en ligne | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Sommaire
ISSN : 1769-7425 |
Avant-propos par Michaël AbecassisIl existe sans aucun doute un vide dans la recherche linguistique concernant les pratiques langagières au cinéma. Les scénarios de film sont souvent perçus comme étant trop stylisés et n'étant pas suffisamment spontanés pour donner une vision réelle de l'oralité. Si dans les années trente les scénaristes et les acteurs cherchaient souvent consciemment à dépeindre le contraste des classes sociales (petits bourgeois et gangsters), le cinéma contemporain est beaucoup plus marqué par la multiculturalité (Podhorná-Polická & Fiévet, infra : 218). Si nous devions effectuer une analyse comparative entre des films des années trente et des films plus récents, il nous faudrait étudier des films de gangsters devenus cultes comme la série des Ripoux (1984, 1990, 2003) de Claude Zidi, Doberman (1997) de Jan Kounen, A la petite semaine (2003) de Sam Karmann, ou encore 36 Quai des orfèvres (2004) d'Olivier Marchal, mais les productions à gros budgets tombent facilement dans le stéréotype et les tics de langage. Il serait alors peut-être préférable de s'orienter vers des films à plus petit budget qui auraient échappé à la caricature et aux "clichés véhiculés par la globalisation de la culture" (Sourd, infra : 144). Les dialogues des films contemporains présentent une accumulation de mots d'argots ou de mots vulgaires qui remplacent le français populaire[1] de jadis. Cet argot, comme le dit justement Calvet (1994 : 115), représente "une façon de situer, une façon de revendiquer son appartenance à un groupe social, à un lieu ou à une classe d'âge". L'argot, qui dans les films des années trente était propre aux classes prolétaires, s'entend désormais dans la police dont les représentants sont issus de milieux métissés, tout comme chez les petits malfrats. On assiste à une véritable diffusion des usages familiers à toutes les couches sociales de la société. Les auteurs de ce numéro de Glottopol nous fournissent des contributions originales et inédites sur un domaine de recherche, celui de la langue et du cinéma, qui suscite de plus en plus d'intérêt auprès des chercheurs. Nos contributeurs s'interrogent par exemple sur la représentation des situations sociolinguistiques dans la production cinématographique du cinéma français québécois ou africain. Les problèmes de traduction des formes non standard, liés aux questions du doublage et du sous-titrage, font également l'objet d'analyses. La variété de ces articles donnera aux lecteurs une vision assez complète des recherches linguistiques et sociolinguistiques actuellement menées sur le cinéma francophone et ouvrira de nouvelles perspectives sur ce sujet en pleine expansion. Nous débutons ce numéro par une analyse des documents sonores et audiovisuels que le chercheur pourrait exploiter à des fins linguistiques et discuterons de leur valeur scientifique. Renaud Dumont s'intéresse ensuite à l'adaptation de l'uvre littéraire en film et la manière dont l'écriture est un objet didactique. Il prend comme exemple La Reine Margot (1994) de Patrice Chéreau, qui oscille entre le film et l'uvre, entre la réalité et la fiction. Au fil de l'analyse, on comprend que l'uvre cinématographique née d'une source littéraire est devenue une invention qui se construit tout le temps et une création en permanence autonome. L'utilisation d'extraits de films dans la salle de classe concourt-elle à l'apprentissage de l'étudiant de langue étrangère ? Les documents audiovisuels offrent, comme en témoigne l'article de Carmen Compte et de Bertrand Daugeron, un éventail de situations sociales et stylistiques d'une richesse inestimable pour l'apprenant dans son apprentissage d'une langue étrangère. Pierre Bertoncini a conduit une étude ethnographique sur le tournage de la série télévisée Mafiosa (2006), réalisée non pas en Corse mais dans la région de Marseille, afin d'évaluer la manière dont la langue corse était utilisée dans la mise en scène pour rendre cette fiction aussi réaliste que possible. L'auteur s'intéresse ensuite au traitement linguistique de textes littéraires comme Colomba et Total Kéops et à leur adaptation au cinéma, souvent " coloré " par le prisme de la mise en scène.
Lorsque l'on parcourt l'histoire du cinéma québécois, comme le fait Germain Lacasse dans son article, on voit qu'il s'inscrit depuis ses origines dans l'oralité. Les bonimenteurs qui commentaient en direct les films américains ou les documentaires muets lors de leur projection créaient une interaction avec le spectateur qui n'avait pas son pareil. Le "spectacle bonimenté" (infra : 60), tel que les revues et les chansons documentaires des années trente, ne sont pas sans rappeler le cinéma populaire et les comiques-troupiers des music-halls parisiens. Le cinéma oral utilisé par les metteurs en scène est une stratégie pour promouvoir le vernaculaire, combattre l'hégémonie de l'église et démocratiser la société québécoise. Dans la continuité de l'article de Lacasse, Gwenn Scheppler décrit l'activité "d'énonciation cinématographique" (infra : 65) des représentants de l'Office national du film, héritiers de la tradition des bonimenteurs et des prêtres-cinéastes. Leur mission consistait à parcourir les campagnes, dans la période de l'après-guerre et jusque dans les années 60, pour y organiser de vastes réseaux de projections dans un but souvent éducatif et culturel et ouvrir un espace de discussion parmi les communautés francophones du Québec et des Provinces environnantes. Vincent Bouchard poursuit l'analyse des deux précédents articles pour montrer que la pratique des vieux bonimenteurs et "l'oralité cinématographique" (infra : 79) perdurent dans le cinéma québécois contemporain. On y découvre que la voix et la diction de l'observateur omniscient qui servent de commentaire au film et de trame narrative, instrumentalisent les images, selon les dispositifs d'enregistrement. La voix du réalisateur montréalais Claude Jutra ajoute à l'esthétisme de l'image et sert de médiation avec le film tout comme le faisaient les bonimenteurs d'antan. L'article de Karine Blanchon observe le bilinguisme français-malgache dans le cinéma national de Madagascar. Le sujet a été très rarement traité par les universitaires, d'autant que la cinématographie francophone malgache ne compte que très peu de films et que des problèmes de sous-titrage liés à la pluralité langagière en limitent souvent la distribution. Le français non standard utilisé comme lingua
franca par les tirailleurs africains dans le film Camp de Thiaroyé
(1987) du réalisateur sénégalais Ousmane Sembène possède,
comme nous le montre Cécile Van Den Avenne, une fonction dramaturgique
et subversive. Cette variété de vernaculaire appelée "français-tirailleur",
qui se distingue du vernaculaire africain que s'approprient habituellement la
littérature et le cinéma, établit une hiérarchie et
un rapport de force entre colons et colonisés.
L'article de Jean-Michel Sourd traite de l'image de la France et des Français chez les Hongkongais dans un ensemble limité de films distribués à Hong Kong durant les dix dernières années. Le cinéma, la télévision et les publicités véhiculent une image de la francité qui se veut authentique mais qui par bien des aspects apparaît caricaturale. Thérèse Pacelli Andersen et Elise Pebka constatent le peu de recherches effectuées sur le cinéma camerounais. Leur étude se consacre à la pratique des surnoms dans le film de Jean-Pierre Bekolo Quartier Mozart (1992). L'utilisation de surnoms souvent chargés d'une connotation affective dans le film est indicatrice des relations qui se créent entre les personnages et révélatrice d'une identité collective. John Kristian Sanaker discute de l'authenticité linguistique
de films historiques tels que Joyeux Noël (2005), Maurice Richard
(2005), Daens (1993) et La Bataille d'Alger (1966) et de la difficulté
à rendre dans la composante cinématographique les mixités
linguistiques. L'auteur s'interroge notamment sur les questions de doublage et
de sous-titrage. Le sous-titrage en anglais des films dits de banlieue soumet
en effet le traducteur à de nombreuses contraintes. Comment recréer
le langage connoté socialement et culturellement d'une langue source par
une autre, sans que celle-ci ne perde de sa singularité ? L'article
de Pierre-Alexis Mével montre que la transposition d'un film comme La
Haine en vernaculaire afro-américain est souvent décalée.
En ne parvenant pas à restituer les spécificités du vernaculaire
parlé dans les cités et la marque identitaire qui lui est associée,
elle véhicule de fausses représentations. Gaëlle Planchenault
pour sa part s'intéresse au film-documentaire américain Rize
et aux choix de traduction effectués par les distributeurs pour transposer
le vernaculaire africain-américain en français. L'article d'Alena Podhorná-Polická et Anne-Caroline Fiévet qui clôt ce numéro de Glottopol se propose d'étudier le lexique argotique des "films de banlieue". Des films cultes comme La Haine (1995) ou L'Esquive (2003) donnent une vision qui stéréotype et stigmatise plutôt qu'elle ne montre les personnages dans leur situation naturelle. Les auteures se sont donc focalisées sur trois films moins connus, Raï (1995), La Squale (2000) et Sheitan (2006), en cherchant à déterminer si la représentation de l'argot au cinéma est conforme à la langue parlée par les jeunes dans la réalité. Une analyse lexicographique sous forme de questionnaire permet d'établir la vitalité des argotismes et de voir si les médias ont une influence ou non sur la circulation du lexique parmi les jeunes. Nous tenons à remercier pour leur aimable participation à l'élaboration de ce numéro : Jacqueline Billiez (Grenoble), Philippe Blanchet (Rennes 2), Sarah Cooper (King's College, London), Reidar Due (Oxford), Pierre-Philippe Fraiture (Warwick), Emmanuelle Labeau (Aston), Gudrun Ledegen (La Réunion), Martin O'Shaughnessy (Nottingham Trent). Bibliographie Note : Sommaire
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Résumés
Comment la langue française a-t-elle évolué au cours du xxe siècle ? Nous disposons depuis plus d’un siècle d’un grand nombre de documents sonores qui viennent s’ajouter aux études linguistiques et nous montrer combien la prononciation, le phrasé et le vocabulaire des locuteurs du début du xxe siècle divergent des pratiques langagières de nos contemporains. Il s’agit dans cette étude de dresser un bref historique des origines du cinéma et de faire le bilan des enregistrements phonographiques et audiovisuels qui subsistent dans les archives sonore pour une recherche linguistique : gens du théâtre, camelots, comiques-troupiers, acteurs, hommes d’Etat et hommes de lettres nous offrent un éventail remarquable de voix qui composent le paysage sonore aux prémices du parlant. Mots clés : vernaculaire parisien, radio, cinéma, chanson populaire, années 30, lexique, argot
La médiation didactique de l’œuvre littéraire constitue l’itinéraire de notre présente recherche exposée dans cet article. En effet, il nous est apparu que l’œuvre filmique née de l’œuvre littéraire était un produit culturel pouvant faire l’objet d’une triple démarche didactique, aboutissant à faire saisir le degré d’autonomie de la création culturelle cinématographique, à partir de la création littéraire proprement dite, à la fois source et nœud d’un type de produit susceptible de plus intéresser l’apprenant spectateur que le simple lecteur. L’exemple choisi, celui de La Reine Margot, film de Patrice Chéreau et d’lexandre. Dumas (!), nous a semblé tout à fait apte à nous faire progresser dans notre réflexion sur l’exploitation didactique d’un produit culturel de type littéraire. Mots clés : médiation didactique, interculturel, produit culturel, discours, représentations
Parler une langue demande bien plus que simplement maîtriser sa grammaire ou de mobiliser son vocabulaire, c’est aussi saisir toute la dimension communicative et sociétale qu’elle convoque. Comment dès lors contextualiser l’apprentissage des langues afin d’en comprendre les codes culturels ? La réponse proposée invite à mobiliser l’image animée (cinéma et télévision). L’apport des matériaux filmiques enrichit la compréhension des langues pour différentes raisons : dimension socioculturelle du cinéma et de la télévision, richesse didactique et paradigme communicationnel. Le retour d’expérience et l’appui théorique des sciences cognitives nourrissent ce plaidoyer en faveur de l’image animée afin de lui donner toute sa place dans l’enseignement. Mots clés : éducation, image, langue, média, communication, télévision, cinéma
L’observation participante du tournage de la série télévisée Mafiosa a permis de réunir des documents concernant la mise en scène de situations sociolinguistiques d’une fiction ayant la Corse contemporaine comme décor. La comparaison avec Colomba et Total Khéops permet de mettre en valeur comment, malgré quelques touches de "couleur locale", la pauvreté des situations langagières est à l’écran une constante d’une dynamique de construction d’une culture de masse francophone. Mots clés : Mise en scène de situations sociolinguistiques, Colomba, Total Khéops, Mafiosa, cinéma et territoire corse, adaptations cinématographiques d’œuvres littéraires, polar, honneur, vendetta, ethnographie du travail artistique
Toute l’histoire du cinéma québécois montre que c’est un cinéma oral, ou très marqué par l’oralité. On l’a appris en étudiant l’histoire des bonimenteurs, qui commentaient en vernaculaire québécois les films américains et les documentaires locaux. On le confirme en constatant que le cinéma était un sujet récurrent dans les revues d’actualité qui furent le grand succès du théâtre local pendant toutes les années 1920. On le constate encore pendant les années 1930 à 1960, où le cinéma national fut un cinéma religieux et conservateur, mais qui poursuivait la pratique des films muets commentés en direct. On peut donc maintenant supposer que ces pratiques orales du cinéma ont facilité l’émergence du cinéma direct et même l’évolution du cinéma québécois actuel, où le documentaire d’actualité dans la langue vernaculaire est encore une pratique marquante. Mots clés : cinéma, langue, Québec, oralité, vernaculaire
Cet article présente les activités peu connues et peu documentées des " représentants québécois de l’Office National du Film du Canada", pendant la période qui va de l’après-guerre à la Révolution Tranquille. Ces personnages-clés de la mission sociale et culturelle de l’ONF occupaient une place particulière dans le paysage culturel canadien de l’époque. Ils avaient pour mission d’assurer la bonne diffusion des films de l’Office auprès des différentes communautés rurales ou urbaines à travers chaque province, et ils devaient donc aider les communautés locales à s’organiser pour faire venir les films documentaires et pédagogiques et en débattre publiquement. Or au Québec, en raison du conservatisme du gouvernement Duplessis et de l’épineuse situation culturelle et linguistique, leur rôle fut sensiblement différent de celui des représentants des autres provinces, de même que leur implication socioculturelle. Leur travail s’est inscrit selon nous dans une tradition de "cinéma oral" remontant au temps des bonimenteurs, laquelle tirait résolument le médium cinématographique sur le terrain des revendications culturelles et politiques. Mots clés : ONF, bonimenteurs, cinéma oral
Dans les années cinquante, à Paris, New York et Montréal se développe une nouvelle forme de cinéma autour d’un matériel plus léger et d’une synchronisation à l’enregistrement de l’image et du son. A Montréal, ces innovations sont explorées dans un organisme de production cinématographique fédéral, l’Office national du film. Cette esthétique particulière rompt avec une tradition de beaux documentaires en place depuis les débuts de l’Office, où l’image est toujours accompagnée d’une voix omnisciente à la diction impeccable et au ton neutre. Cette nouvelle posture esthétique ne fait pas totalement disparaître le commentaire. Bien sûr, ce n’est plus une voix omnisciente, mais un guide pour le spectateur, l’interface entre la réalité filmée et celle du spectateur.
Mots clés : ONF, oralité cinématographique, bonimenteur, cinéma direct
Située dans le Canal du Mozambique, en plein coeur de l’Océan Indien, l’île de Madagascar s’étend sur une superficie de plus de 580 000 kilomètres carrés. Géographiquement proche du continent africain, elle l’est aussi de l’Indonésie de par l’origine de sa langue, le malgache. Peuplée par environ dix-sept millions de personnes, cette ancienne colonie française est indépendante depuis 1960. La pluralité linguistique est une particularité de ce pays et se retrouve dans les créations cinématographiques nationales, non sans poser quelques contraintes. Les films francophones réalisés par des Malgaches sont en effet le plus souvent bilingues, à l’image de la société elle-même. Cependant, ce bilinguisme, est perçu comme un mal nécessaire pour permettre l’exportation des films à l’étranger et nécessite des moyens financiers et techniques dont ne disposent pas toujours les producteurs locaux, dans ce pays considéré comme l’un des plus pauvres économiquement.Mots clés : Madagascar, pluralité langagière, cinéma franophone, bilinguisme
Le but de cet article est de proposer une étude sociolinguistique des particularismes discursifs associés à la pratique des surnoms dans le film camerounais francophone Quartier Mozart de Jean-Pierre Bekolo. Partant d’une conception du discours comme une unité linguistique qui, au-delà de la phrase, s’intéresse à l’usage du langage dans des contextes sociaux, et particulièrement à l’interaction verbale entre les locuteurs (Bakhtine, 1977 ; Roulet et al., 1991), nous tenterons de décrire la structure, l’organisation et l’usage des surnoms dans les pratiques discursives des personnages, dans le but de permettre une meilleure compréhension des mécanismes linguistiques et socioculturels à l’œuvre dans la pratique des surnoms en français camerounais. Mots clés : surnoms, particularismes discursifs,
français camerounais, structures linguistiques, créativités
néologiques, fonctionnement socioculturel, effets évaluatifs, effets
affectifs
Ousmane Sembène, romancier et réalisateur sénégalais (1923-2007), a déclaré plusieurs fois être passé de la littérature au cinéma, par choix pour un médium pouvant s’adresser à tous, lettrés ou non lettrés. Il est par ailleurs connu pour son usage pionnier des langues africaines dans ses films et notamment du wolof dans Le mandat (1968), ce choix des langues vernaculaires étant dicté par la volonté de pouvoir être compris d’un public non francophone. Dans Camp de Thiaroye (1988), film qui propose une lecture d’un épisode historique tragique qui a abouti au massacre de tirailleurs sénégalais rentrés de France au Sénégal en 1944, il opère un choix différent, filmant majoritairement en français dans un français non standard décrit parfois sous le terme de français-tirailleur. L’utilisation de ce français non standard ne va pas de soi. En effet, si le français populaire vernaculaire africain a fait l’objet d’une appropriation positive dans différents domaines de la création, la variété dite "français-tirailleur" garde quant à elle un statut ambigu. Elle a un passé important de représentation dans la littérature coloniale, et la mise en représentation de son usage est toujours stigmatisante. Dans Camp de Thiaroye, le français-tirailleur fait l’objet d’une première représentation remarquable, à travers le médium cinématographique. Son pouvoir humoristique est mis en sourdine du fait du contexte dans lequel il est utilisé et de la tonalité globalement tragique du film. Non conventionnel, non normé, ce français-tirailleur se voit doté d’un pouvoir de subversion, il devient en effet progressivement dans le film la langue qui prend à partie, met à mal la hiérarchie, la langue de la contestation, de l’affirmation du collectif, et de ce que l’on peut décrire comme une prise de conscience politique. Dès lors, ce choix linguistique n’a rien d’ornemental mais est au cœur du projet critique de Sembène.
Mots clés : français-tirailleur, postcolonialisme, francophonie, Sénégal, armée coloniale
L’emploi d’un code crée et en même temps indique une identité sociale. Observé par les sociolinguistes, comment ce phénomène se manifeste-t-il au cinéma ? Après avoir résumé la théorie sociolinguistique actuelle qui se concentre sur le choix d’un code et son rapport avec une identité sociale, cet article s’adresse à la question en examinant deux films apparemment très différents : La Grande Illusion (Renoir, 1938) et Xala (Sembène, 1974). Bien que son choix de code soit certainement saillant dans les situations sociales réelles, il est doublement important dans les représentations fictives, surtout celles qui se veulent engagées. Dans les deux films examinés, l’usage des codes existe dans une matrice complexe mais réaliste. Il se lie étroitement non seulement aux identités des personnages mais également aux types qu’ils représentent. On peut y observer dans le choix de code un double potentiel : augmenter la proximité sociale ou la diminuer. Renoir aussi bien que Sembène emploient les choix de code de leurs personnages surtout afin de critiquer un refus de solidarité sociale et humanitaire. Mots clés : alternance de code, cinéma engagé, formalité linguistique, identité sociale, multilinguisme, Jean Renoir, Ousmane Sembène, sociolinguistique
Dix ans après la rétrocession de l’ancienne colonie britannique à la Chine, nous nous sommes interrogé sur ce que le cinéma hongkongais véhiculait de la vision de la France et des Français à travers l’analyse de certains titres choisis consciemment en français, du contenu (dialogues, décors) francoïde et de références littéraires ou culturelles francophones de ses films. Cette lecture des représentations cinématographiques hongkongaises de la francité offre un nouvel éclairage à la globalisation d’une image stéréotypée de la France. Mots clés : Hong
Kong , images, représentations, francité
Après une longue histoire de manipulations empêchant une stratégie de représentation linguistique réaliste au cinéma (versionnements, doublage, anglais avec un drôle d’accent, etc.), le cinéma contemporain est prêt à exploiter le comportement langagier des personnages comme un élément de réalisme filmique. Les langues parlées par les personnages d’un film donné peuvent ainsi assumer une partie importante de la représentation historique et culturelle que constitue le film. A travers les exemples choisis, on verra aussi que ce qui est en cause, n’est pas seulement un certain réalisme linguistique, mais aussi une véritable éthique de la représentation langagière : des films comme Maurice Richard, Daens et La bataille d’Alger mettent en langue une situation historique de type colonialiste où les langues parlées par les personnages représentent une lutte entre colonisateur et colonisé, entre exploiteur et exploité.Mots clés : doublage, réalisme filmique, éthique de la représentation langagière
L’article se propose d’analyser les contraintes pesant sur le sous-titrage en anglais de la variété de français dit "des banlieues", à travers l’étude des sous-titres du film La haine de Mathieu Kassovitz. On essaiera dans un premier temps de définir ce qu’est le français des banlieues, afin d’en saisir la portée sociolinguistique. La nature sociogéographiquement spécifique d’un parler vernaculaire – comme le français des banlieues – le rend essentiellement résistant à la traduction. On peut dès lors se demander dans quelle mesure, au vu des sous-titres de La haine dans lesquels toutes les références culturelles françaises ont été transposées aux Etats-Unis, l’approche traductive qui consiste à remplacer un dialecte dans le film original par un dialecte dans la langue cible se prête à la traduction audiovisuelle. Même si les jeunes-gens qui vivent dans les grands ensembles français semblent parfois leur inspiration dans la street culture américaine, et si de nombreuses références y sont faites dans le film de Kassovitz, les implications de substituer un vernaculaire par un autre sont nombreuses pour le spectateur anglophone. Mots
clés : Traduction, vernaculaire, sous-titrage, français
des banlieues, AAVE, transposition culturelle et linguistique
La traduction d’un film est un moment délicat et peut signer succès ou mort lors de l’exploitation à l’étranger. Le choix du lexique est capital puisqu’il va être déterminant dans le fait d’emporter ou non l’adhésion du public visé. Dans le cas du film-documentaire américain Rize (David LaChapelle, 2004), les synchronisations des protagonistes sont tout à fait intrigantes. Le film raconte l’émergence d’une nouvelle forme de danse urbaine, le krumping, dans la communauté noire de South Central Los Angeles. Il attirerait donc tout d’abord les jeunes intéressés par la culture hip hop. C’est peut-être pour cette raison que les distributeurs de l’Hexagone ont décidé de traduire le vernaculaire urbain africain-américain par une version tout à fait locale. On retrouve ainsi des phénomènes lexicaux (argot, verlan, anglicismes) rappelant le parler des banlieues françaises. Dans cet article, nous envisageons ce rapprochement comme dangereusement réducteur : cette assimilation de deux histoires et deux phénomènes sociaux différents ne reflèterait-elle pas finalement une ethnicisation du discours sur les banlieues ? Mots clés
: Identité culturelle, stéréotypes culturels,
français des banlieues, synchronisation, sous-titres
Depuis les débuts du dit "cinéma de banlieue" au milieu des années 90, de nombreuses analyses se sont portées sur l’absence d’autorité paternelle dans un grand nombre de films auxquels on donne cette étiquette. Toutefois, le rapport entre les personnages principaux (en grande majorité masculins) et leurs mères s’est beaucoup plus rarement trouvé au coeur de ces analyses. Cet article étudie la construction linguistique de cette relation mère-enfant, en examinant les tendances à la sacralisation mais aussi à la vilification de la figure maternelle qui en ressortent. Mots clés : Immigration, banlieues,
filiation, insultes, rapport parent-enfant
Le présent article analyse les mots argotiques de trois films couvrant une période d’environ dix ans qui ont la banlieue comme point commun, à savoir Raï (1995), La Squale (2000) et Sheitan (2006). Dans une première partie théorique, nous étudions les relations entre la langue des jeunes dans la vie réelle et la langue utilisée dans ce type de film, tout en insistant sur la stigmatisation des jeunes des quartiers d’habitat social et sur le rôle des représentations identitaires que les scénaristes se font de leur parler. Une seconde partie, qui confronte les résultats d’un questionnaire (trente lexèmes identitaires relevés dans les trois films étudiés ont été soumis en 2007 à quarante-huit jeunes d'environ vingt ans) avec la "méthode des filtres successifs" ( présence ou absence de ces lexèmes dans plusieurs dictionnaires de niveaux différents ), permet de commenter la circulation des mots argotiques chez les jeunes ces dix dernières années et de relever quelques caractéristiques saillantes : vieillissements de certains lexèmes, glissements sémantiques, concurrence entre les synonymes et apparition de nouveaux néologismes identitaires. Malgré les stylisations, ces films seront dans le futur un précieux témoignage de l’oral spontané de la génération actuelle des jeunes de cités.
Mots clés :
cinéma français, films de banlieue, stéréotypes,
argot des jeunes, mots identitaires, néologie, chaînes synonymiques
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