Revue de sociolinguistique en ligne | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
N°15 | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Sommaire
ISSN : 1769-7425 |
Avant-propos par Yves Gambier & Olli Philippe LautenbacherLes
technologies de l'information et de la communication (TIC) bousculent de plus
en plus les modes et les genres traditionnels de l'écrit, en y réintégrant
la langue orale ou les diverses formes d'oralité. Leur impact se fait déjà
sentir dans les pratiques de nos communications et brouille des catégories
comme celles d'écrit et d'oral. Ce qui peut paraître imperceptible
dans une langue donnée, parce que lié à des changements plus
ou moins lents ou vite acceptés, devient problématique lorsqu'on
travaille entre plusieurs langues/cultures : l'impensé ou le non-dit
doit être alors réfléchi, des décisions mûries
doivent être prises, certaines stratégies doivent être appliquées
en toute connaissance de cause. En lançant un appel à contributions sur oralité
et écrit en traduction, nous avons tenté à la fois de lancer
un débat interdisciplinaire et de faire une sorte de bilan des travaux
en cours, en langue française. L'interdisciplinarité est lente à
se mettre en place, tant les catégories et hiérarchies universitaires
perdurent : la traductologie de langue française reste peu développée
(au moins en France). Il n'est donc pas surprenant que le volume 15 repose sur
un nombre plus restreint d'articles que dans les autres numéros de la revue
et que ces articles soient rédigés par de jeunes enseignants-chercheurs
ou même des doctorants. Il serait prématuré d'en conclure
que l'ensemble indique une nouvelle voie de recherche. Il n'en reste pas moins
que les problématiques abordées sont des défis - théoriques,
conceptuels, méthodologiques. Les deux textes suivants traitent des transformations des dialogues filmiques à l'écrit sur l'écran. Marta Biagini s'attaque notamment aux particularités de ce passage de l'oral aux deux lignes, espace particulier qui tente de représenter le caractère foncièrement interactif des dialogues. A travers l'analyse d'un corpus de films français sous-titrés en italien dans des contextes divers (DVD et Festivals de cinéma), elle cherche à comprendre comment les marqueurs discursifs sont transformés dans ce passage d'une langue à une autre et d'un médium à un autre. Jean-Guy Mboudjeke, quant à lui, aborde certains problèmes théoriques et pratiques liés au sous-titrage des sociolectes, en s'appuyant sur les sous-titres du film camerounais : Quartier Mozart. Après avoir donné les principales caractéristiques du français oral des Camerounais présents dans le film, il analyse les solutions de traduction retenues dans le sous-titrage en anglais. Puis, en se basant sur le concept de « traduction éthique » mis en avant par Berman (1984) et Venuti (1998), il montre que pour réussir à recréer l'illusion du réel et surtout pour éviter d'occulter l'étrangeté linguistique des dialogue originaux, les sous-titreurs auraient pu recourir à des formes tirées du pidgin-English, l'une des langues véhiculaires parlée au Cameroun. Les deux prochaines études s'interrogent sur la traduction de formes littéraires qui ne sont pas forcément canoniques. Ainsi Franck Barbin propose une certaine approche de la traduction du folklore qui tient compte de l'oralité à l'écrit, en prenant comme corpus des récits populaires du Devon. Le traducteur se devrait d'être un nouveau conteur qui impressionne ses lecteurs comme l'a été le public d'origine par le conteur qui lui parlait sa langue. En se fondant sur des enquêtes et des récits collectés sur le terrain, l'auteur cherche à valider son concept de « traducteur-conteur » : ce dernier doit aussi reconstituer le texte à traduire, remettant ainsi en cause le concept de fidélité au texte de départ ou plutôt aux divers textes de départ. Il tente ainsi de recréer un lien avec l'oralité du récit, à partir du grand nombre de variantes d'un même conte. Il n'empêche que l'écrit reste la principale source d'inspiration pour la production orale actuelle des conteurs. Odile Schneider-Mizony a travaillé avec un corpus de sept auteurs, huit oeuvres et onze traductions sur l'axe franco-allemand des deux derniers siècles, afin d'examiner la variété des dimensions de l'oralité dans la traduction du théâtre, du roman ou du conte. Le matériau linguistique permet la traduction de l'oralité sous divers aspects : intensité, brisure énonciative et apparente simplicité. Parmi les stratégies de traduction de l'oralité originale, contextualisation, métacommunication sur l'oralité et adaptation culturelle retiennent l'attention de l'auteure. En outre, l'article tente de (re)tracer l'évolution diachronique de ce type de traduction : à une sous-traduction correspondant à la stigmatisation de l'oralité en France et en Allemagne, succèderaient une prise en compte plus importante au nom de l'authenticité du sens et de l'oeuvre, puis plus récemment, une sur-traduction de l'oralité. Les deux articles suivants font face à la multiplicité des langues. Myriam Suchet envisage la traduction sur le modèle de la poétique hétérolingue postcoloniale. C'est en produisant une fiction linguistique que le roman d'Okara, significativement intitulé The Voice, donne à entendre « une voix ». Tout se passe en effet comme si l'histoire, pourtant écrite en anglais, était contée en ijaw (ou ijo). La mise en évidence du caractère fictif de l'ijaw dans le roman semble mettre fin à l'illusion d'oralité. Mais la voix fait retour sous la forme d'une « vocalité spécifique » qui permet au lecteur de se faire une image de l'instance d'énonciation. L'hypothèse de l'ethos ouvre de nouvelles perspectives pour l'interprétation de l'hétérolinguisme et de sa traduction. Envisagée comme un discours rapporté, cette dernière est le théâtre d'une voix nouvelle, celle du rapporteur. L'analyse comparée de la version allemande d'Olga et Erich Fetter et de la version française de Jean Sévry permet de reconduire l'hypothèse de l'ethos sur le terrain de la traduction. C'est le roman de François Bégaudeau Entre les murs (2006) et en particulier ses variations sociolinguistiques, exhibées dans les interactions verbales du texte mais aussi dans le développement du récit, qui a intéressé Lorella Sini, Silvia Bruti et Elena Carpi. Les marques d'oralité relevées sont identifiées selon les différents niveaux de l'analyse - graphique, syntaxique, sémantique et pragmatique. Mais c'est surtout par des signes non-segmentaux que l'écriture de Bégaudeau rend compte de la réalité du français parlé. Dans un second temps, les auteures s'interrogent sur les stratégies traductives adoptées pour rendre compte de cette oralité dans les versions italienne, anglaise et espagnole du roman. Enfin avec le dernier ensemble de textes, on est confronté aux voix et variations en anglais lorsqu'il faut les traduire vers le français. Ainsi Karen Bruneaud-Wheal se penche, après d'autres, sur le célèbre roman de Mark Twain qui a fait l'objet, depuis 1886, de plus de dix traductions, retraductions et adaptations en français. Traduire Huckleberry Finn, c'est relever le défi des langages vernaculaires du roman. Comment rendre en effet à Huck sa voix et donner à lire, en traduction, toutes les voix de l'original ? En 2008, une énième traduction est sortie, avec pour but affiché de « faire sortir (le roman) du ghetto de la littérature jeunesse »(Hoepffner, 2008). L'analyse porte sur le traitement du socio-idiolecte de Huck en tant qu'« écriture parlée » (Folkart, 1991 : 177) et vecteur de moralité. Enfin Trainspotting (1993) d'Irvine Welsh et sa suite, Porno (2002), ont retenu la réflexion de Cindy Lefebvre-Scodeller. Les marques d'oralité dans les deux romans visent à leur conférer le réalisme le plus extrême, et cela grâce à une retranscription phonétique de la prononciation des personnages qui sont Ecossais, associée à l'utilisation d'un vocabulaire grossier, voire vulgaire. Il est stimulant de considérer l'éventail des moyens utilisés par les traducteurs pour parvenir à conserver l'atmosphère si particulière qui se dégage des deux textes de départ. Nous remercions tous les auteurs et relecteurs pour leur contribution à l'élaboration de ce volume 15. Nous espérons que les lecteurs trouveront dans ces textes originaux matière à réflexion et ouverture apte à mieux comprendre les enjeux et conséquences de la médiation interlinguistique et interculturelle. Sommaire
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Résumés
Après avoir rappelé que l'hybridité est une pratique courante dans les littératures mais aussi dans nombre d'autres types d'interaction langagière, nous mettons en perspective l'oralité et l'écrit en traduction. Les exemples de pratiques mixtes ne manquent pas dans les énoncés où il y a passage d'une langue/culture à une autre. En contexte audiovisuel notamment, le métissage des formes orales et écrites est fréquent et varié. Ce brouillage des codes est subsumé par la notion de rythme qui relie à la fois des expressions émises dans des sociétés à tradition orale et dans nos communications technologisées - monolingues ou multilingues.
Transfert linguistique qui transpose à l'écrit un texte source audio-visuel, le sous-titrage représente un cas où toute frontière entre l'oral et l'écrit se brouille. L'article s'intéresse notamment au sous-titrage de dialogues filmiques qui recoupe un espace particulier où le caractère foncièrement interactif de ces dialogues est représenté dans des formes souvent différentes de celles de l'original. A travers l'analyse d'un corpus de films français sous-titrés en italien, pour des contextes divers (DVD et Festivals du cinéma), notre étude cherche à comprendre comment un groupe d'éléments propres à l'oral qui se caractérisent par leurs fonctions pragmatiques et interactives, à savoir les marqueurs discursifs (MD), est traité lors de ce passage d'une langue à l'autre et d'un médium à l'autre. Mots clés : Traduction audio-visuelle, sous-titres, dialogues filmiques, interaction verbale, marqueurs discursifs.
Cet article aborde certains problèmes théoriques et pratiques liés au sous-titrage des sociolectes, en s'appuyant sur le sous-titrage du film camerounais : Quartier Mozart. Après avoir présenté les principaux traits caractéristiques du français oral des Camerounais présents dans le film, l'article analyse les solutions de traduction retenues dans le sous-titrage en anglais (passage de l'oral à l'écrit). Puis, en se basant sur le concept de traduction éthique mis en avant par Berman (1984) et Venuti (1998), l'article montre que pour réussir à recréer l'illusion du réel et surtout éviter de biffer l'étrangeté linguistique évidente dans le dialogue original, les auteurs du sous-titrage pouvaient injecter dans leur traduction des formes tirées du pidgin-English, l'une des langues véhiculaires parlée au Cameroun. Mots clés : Cameroun, pidgin-English, éthique, Quartier Mozart, anglais pidginisé.
Cette étude propose une nouvelle approche de la traduction de folklore qui tient compte de l'oralité à l'écrit. En prenant comme corpus les récits populaires du Devon, le traducteur est considéré comme un nouveau conteur, qui doit véhiculer au lecteur la même émotion que celle ressentie par le public d'origine (communication interculturelle). En me fondant sur des enquêtes et des collectes de récits que j'ai réalisés sur place, je souhaite valider mon concept de « traducteur-conteur » : le traducteur-conteur ne se contente pas de passer un texte d'une langue à l'autre (réécrivain) ; il reconstitue également le texte à traduire (co-auteur), remettant ainsi en cause le concept de fidélité au texte-source. Le traducteur-conteur ne part pas d'un seul texte-source mais dispose de multiples textes de départ. Il tente ainsi de redynamiser une version figée par la transposition à l'écrit, de recréer un lien avec l'oralité du récit, en se fondant sur un grand nombre de variantes d'un même conte. Il aboutit ainsi à une nouvelle version du récit, à la fois représentative et non archétypale. Je postule que les versions écrites de ces récits sont aussi légitimes que leurs versions orales, a fortiori dans le Devon puisque l'écrit constitue la principale source d'inspiration pour la production orale actuelle des conteurs. Tous mes efforts convergent vers un seul but : transmettre au lecteur une expérience de contage unique à travers un medium écrit. Ce qui prime, c'est l'effet produit par le nouveau récit sur le lecteur. Mots clés : Angleterre, conteurs, fidélité, folklore, oralité, traduction.
Un corpus de sept auteurs, huit oeuvres et onze traductions sur l'axe franco-allemand des deux derniers siècles examine la variété des dimensions de l'oralité dans la traduction du théâtre, du roman ou du conte, textes écrits imitant partiellement ou globalement la langue parlée. Nous constatons tout d'abord que le matériau linguistique permet la traduction de l'oralité sous divers aspects : intensité, brisure énonciative et apparente simplicité. Nous étudions ensuite les stratégies de traduction de l'oralité originale : contextualisation, métacommunication sur l'oralité et adaptation culturelle. Enfin, nous essayons de tracer l'évolution diachronique de la traduction de l'oralité : à une sous-traduction de l'oralité, correspondant à sa stigmatisation dans les deux pays, succède une prise en compte plus importante au nom de l'authenticité du sens et de l'oeuvre. Plus récemment, une sur-traduction de l'oralité, chez des auteurs qui jouent de l'infraction à la norme du bon style, représente une nouvelle forme d'artifice de l'oralité. Mots clés : Traduction franco-allemande, prose littéraire et théâtrale, oralité authentique et oralité simulée, idéologie grammaticale, stratégies de traduction.
Cet article envisage l'opération de traduction sur le modèle de la poétique hétérolingue postcoloniale. C'est en produisant une fiction linguistique que le roman d'Okara, significativement intitulé The Voice, donne à entendre « une voix ». Tout se passe en effet comme si l'histoire, pourtant écrite en anglais, était contée en ijaw. La mise en évidence du caractère fictif de l'ijaw dans ce texte semble mettre fin à l'illusion d'oralité. Mais la voix fait retour sous la forme d'une « vocalité spécifique » qui permet au lecteur de se faire une image de l'instance d'énonciation. L'hypothèse de l'ethos, rendue possible par cette mise en scène énonciative, ouvre de nouvelles perspectives pour l'interprétation de l'hétérolinguisme et de sa traduction. Envisagée comme un discours rapporté, cette dernière est le théâtre d'une voix spécifique, celle du rapporteur. L'analyse comparée de la version allemande d'Olga et Erich Fetter et de la version française de Jean Sévry permettra de reconduire l'hypothèse de l'ethos sur le terrain de la traduction. Mots clés : Okara, The Voice, postcolonial, hétérolingue, discours rapporté, ethos, énonciation, vocalité spécifique, traduction, polyphonie
Le roman de François
Bégaudeau « Entre les murs » (2006) se prête
à une analyse précise des variations sociolinguistiques, exhibées
dans les interactions verbales du texte, mais aussi dans le développement
du récit qui entend « coller de près » à
une réalité concrète, celle des quatre murs d'un collège
du 19ème arrondissement de Paris où évoluent de jeunes élèves
et leurs professeurs. Les marques d'oralité que nous avons relevées
et qui constituent l'un des principaux intérêts du roman, sont identifiables
aux différents paliers de l'analyse, qu'il soit graphique, syntaxique,
sémantique ou pragmatique. Mais c'est en particulier par des signes non-segmentaux,
sur lesquels nous nous attarderons, que l'écriture de F. Bégaudeau
nous rend compte de la réalité du français parlé.
Mots-clés : variations sociolinguistiques, stratégies de traduction, marques non segmentales, mimo-gestualité, norme.
Le célèbre
roman de Mark Twain a fait l'objet de plus de dix traductions, retraductions et
adaptations en français, depuis 1886. Mais traduire Huckleberry Finn,
c'est relever le défi des langages vernaculaires du roman. Lavoie, auteur
d'une étude de référence sur le respect de la parole noire
dans les traductions françaises de Huckleberry Finn appelait de
ses voeux une nouvelle traduction qui « oserait » enfin
rendre à Huck sa voix, et « donner à lire, en traduction,
toutes les voix du roman original » (2002 : 213). Cette année
a vu paraître une énième traduction, avec pour but affiché
de « le faire sortir du ghetto de la littérature jeunesse »
(Hoepffner, 2008). Mots clés : traduction, sociolecte, dialecte littéraire, vernaculaire, oralité, moralité, Twain, « tendances déformantes », habitus, projet de traduction.
Trainspotting (1993), le chef-d'oeuvre d'Irvine Welsh, et sa suite, Porno (2002), sont deux romans dans lesquels les marques d'oralité constantes visent à leur conférer le réalisme le plus extrême. La retranscription phonétique de la prononciation des personnages qui sont écossais associée à l'utilisation d'un vocabulaire grossier, voire vulgaire, sont les principaux ingrédients qui permettent à l'auteur d'atteindre ce réalisme. Quels moyens les traducteurs (Eric Lindor Fall pour Trainspotting, et Laura Derajinski pour Porno) ont-ils mis en oeuvre dans leur traduction pour parvenir à conserver l'atmosphère si particulière qui se dégage des deux textes de départ ? Ils ont déployé un très large éventail de procédés, auxquels ils ont eu recours de manière plus ou moins systématique, et plus ou moins heureuse. L'examen de ces diverses « techniques » nous a permis de déterminer que chaque traducteur avait eu une approche différente du texte de départ. Mots clés : Traduction
anglais-français, oralité, stratégies de traducteur, Irvine
Welsh, Trainspotting, Porno.
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