Revue de sociolinguistique en ligne | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
N°19 | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Sommaire
ISSN : 1769-7425 |
Présentation par Anne Dister et Marie-Louise MoreauPeu de temps après la publication au Journal officiel de la République française des « Rectifications orthographiques », PetitJean et Tournier (1991) relèvent les principales étapes qui ont marqué la constitution du français et de son écriture. Il ne faut pas solliciter cet inventaire pour y lire que la question de l’orthographe française et de sa réforme est une préoccupation constante, permanente. Tout le 20e siècle, en particulier, se caractérise par une sorte d’ébullition, voyant se multiplier les prises de position, les projets, les manifestes, les publications… Après 1990, l’histoire parait connaitre une accélération, du moins pour ce qui concerne les publications : travaux scientifiques dans le prolongement des rectifications, ou indépendamment de celles-ci (les articles de ce numéro proposent une large bibliographie de travaux récents), mais aussi ouvrages destinés au grand public. Cette effervescence éditoriale a toutefois peu d’impact sur la décision politique d’une part, et sur les représentations d’une partie du public d’autre part. Les autorités se bornent à recommander aux enseignants de tenir compte des rectifications, avec plus ou moins d’insistance, avec ou sans mesures d’accompagnement (Groupe RO [h]), mais elles ne s’engagent pas sur le terrain, jugé sans doute trop aventureux, de la préparation d’une réforme plus radicale. C’est sans doute parce qu’elles craignent de susciter un tollé. La manière dont les francophones se représentent l’orthographe de leur langue, presque toujours empreinte de passion, pourrait, si l’on se dispose à modifier les normes, susciter bien des réactions négatives. Or, du point de vue des représentations, peu de choses ont changé depuis le début du 20e siècle. L’argumentaire des opposants à une réforme, ou des partisans timides, se reproduit, toujours le même, à chaque fois qu’on voit poindre l’hypothèse d’une réforme. Plusieurs articles de ce numéro, analysant l’imaginaire qui s’est tissé autour de l’orthographe, montrent la part importante de stéréotypie sous-jacente aux discours (voir les travaux de Stefano Vicari et du Groupe RO [d, e, g,]). Non seulement le discours ne s’est pas renouvelé, mais les idées communes en matière d’orthographe sont exploitées aussi bien par les tenants d’une réforme que par les opposants, séparés seulement sur ce point par un différentiel plus ténu qu’on ne pourrait l’escompter (Groupe RO [d, e, g]). Tout se passe comme si la plupart des partisans, une fois qu’ils ont mis en avant la difficulté du système actuel, ne s’étaient pas construit un cadre argumentatif pour justifier sa simplification ; peu d’entre eux invoquent des valeurs sociales et culturelles, alors que les adversaires parlent de beauté, de richesse, d’effort, d’identité, de racines… (Groupe RO [d, e]). Alors que, bien souvent, la réflexion s’adosse peu aux acquis de la linguistique moderne, les usagers différencient bien, intuitivement, quelles sont les zones stables et instables du système (les données analysées par Stefano Vicari l’indiquent bien, tout comme les articles du Groupe RO [b, f]). Chez beaucoup, cependant, indépendamment des réalités objectivables, c’est l’importance accordée à l’ancrage historique de l’orthographe française – avéré ou fantasmé – qui détermine souvent l’évaluation de la difficulté, la structuration des positions et les choix (Groupe RO [b, d, e, g]). Pourtant, l’option d’une réforme fait son chemin. Dans l’enquête du Groupe RO [c, f], comme dans de précédents travaux, elle est même partagée par une majorité des témoins, dans des proportions particulièrement importantes dans les pays du Sud. Mais cette majorité n’est pas prête à accueillir n’importe quelle réforme (Groupe RO [f, g]). Elle ne veut pas d’un changement radical, qui doterait le français d’une écriture phonétique (Groupe RO [e, f, g] ; le corpus traité par Vicari porte aussi la trace de ce fantasme), mais elle envisage favorablement, parmi les éventualités proposées dans le questionnaire, l’idée d’une simplification dans le domaine des règles d’accord des participes passés et celle d’une réduction des consonnes doubles (Groupe RO [f]), soit deux points récurrents dans l’inventaire des difficultés orthographiques les plus problématiques (Groupe RO [b]). Que l’orthographe du français soit source de difficultés diverses, peu de personnes le contestent (Groupe RO [b, d]). Dans le même temps, devant la solution d’une simplification des normes, se dresse l’idée d’une orthographe héritière de la tradition, porteuse d’identité. Il en résulte, chez beaucoup, des avis mitigés, fuyant les extrêmes (groupe RO [f]), ou un balancement entre tendances pro- et antiréformiste, le discours tenu pouvant être condensé dans la formule « D’accord, à condition de… », ou « Pas d’accord. Pourtant… » (Groupe RO [d, e, g]). Les travaux réunis dans ce volume adressent différentes recommandations aux responsables de la politique linguistique. On peut résumer les principales en ces mots : sélectionner, informer, s’engager. Sélectionner : alors que la plupart des esprits sont mûrs pour certaines réformes, c’est loin d’être le cas pour toutes (Groupe RO [b, f], Vicari). Informer : si on veut lever les oppositions, il faut veiller à ce que soit diffusée une information correcte sur le fonctionnement de l’orthographe française et sur son histoire (Groupe RO [d, e, g]) ; il conviendrait en outre de mettre en avant les valeurs sous-jacentes à la réforme (Groupe RO [d, e]). S’engager : quand les autorités s’engagent activement sur le terrain de la réforme, on observe des retombées immédiates sur le terrain (Groupe RO [h]). À quoi on pourrait ajouter : dans tous les cas, tenir compte de ce qui se joue dans les imaginaires des citoyens (Groupe RO [b, d, e, g], Vicari). Bibliographie Sommaire
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Résumés
Les pages qui suivent présentent les 25 scientifiques du Groupe RO et décrivent la méthodologie qu’ils ont adoptée dans une enquête relative à la réforme de l’orthographe française : un échantillon de 1738 personnes, enseignants ou futurs enseignants, interrogés en Belgique francophone, en France, au Québec et en Suisse romande, ainsi qu’en Algérie et au Maroc. Un même questionnaire, utilisé dans toutes les situations, demande notamment aux témoins ce que sont leurs propres difficultés orthographiques et celles de leurs élèves, leur position face à la perspective d’une réforme de l’orthographe française, l’accueil qu’ils réserveraient à divers scénarios de réformes, leur degré d’adhésion à différentes idées reçues, la façon dont ils ont intégré les rectifications de 1990. Plusieurs questions permettent en outre d’approcher les représentations que se sont construites les francophones à propos de l’orthographe. Mots clés : orthographe française, réforme, enquête
Dans six pays francophones, 988 enseignants et 750 futurs enseignants ont été interrogés sur leurs propres difficultés orthographiques et sur celles de leurs élèves. Si on s’en tient à leurs déclarations, la plupart des personnes, dans des proportions variables selon les groupes, rencontrent peu de difficultés ou d’hésitations. Deux secteurs sont cependant déclarés problématiques : l’accord des participes passés des verbes pronominaux et les consonnes doubles, le premier étant mentionné comme difficile pour les élèves par deux enseignants sur trois. La prise en compte des autres réponses fournies par les témoins des pays du Nord suggère qu’il faut apprécier les réponses fournies en distinguant difficultés avouables (celles qui ne sont pas directement liées à l’étymologie) et non avouables (celles qui le sont, ou celles qui ont fait l’objet des apprentissages de base). Au Sud, les profils de réponses ne sont guère influencés par des considérations touchant à l’histoire de la langue. Mots clés : orthographe française, réforme, enquête, difficultés, étymologie
Dans un questionnaire soumis à 1738 enseignants et futurs enseignants en Belgique, en France, au Québec, en Suisse, en Algérie et au Maroc, différentes questions tentaient de cerner ce que serait la position des témoins en cas de réforme de l’orthographe française. Les personnes interrogées se prononcent majoritairement en faveur d’un aménagement des normes orthographiques, que la question évoque une rationalisation des secteurs ressentis comme problématiques, ou qu’elle parle d’une réforme dans l’abstrait, sans en préciser le contenu. L’ampleur de l’adhésion est plus ou moins marquée selon les groupes : les deux pays du Sud apparaissent comme les plus demandeurs ; les enseignants en fonction le sont davantage que les enseignants en formation ; les maitres du primaire plus que ceux du secondaire. Enfin – le point est important pour la politique linguistique –, les positionnements des futurs maitres français diffèrent selon la formation qui leur est dispensée : ceux dont les enseignants se sont engagés dans des recherches sur l’orthographe se montrent significativement plus ouverts à la perspective d’une réforme.
On a demandé à 1738 enseignants en fonction ou en formation, dans six pays de la francophonie, de donner les trois premiers mots qui leur venaient à l’esprit quand il est question d’orthographe. Les deux catégories associatives les plus fournies, « Difficile » et « Intéressant », se détachent nettement des autres. Toutes les catégories sont exploitées à la fois par des partisans d’une réforme et par des adversaires ; seules les proportions diffèrent. Cette distribution tient à deux ordres de faits. D’une part, beaucoup de témoins se trouvent partagés, déclarant, par exemple, que l’orthographe est difficile, mais intéressante. D’autre part, il semble que bien des proréformistes, une fois dénoncée la difficulté de l’orthographe, n’ont pas à l’esprit d’autres associations disponibles, sinon celles du fonds culturel traditionnel. Celui-ci convoque différentes valeurs (esthétiques, culturelles, etc.), auxquelles seule une minorité de proréformistes opposent d’autres valeurs, parlant alors d’arbitraire, d’élitisme, etc. Parmi les différences entre les groupes, on relèvera qu’aucun des témoins du Sud ne fait de lien entre orthographe et histoire. Mots clés : orthographe française, réforme, enquête, association verbale
On a analysé les représentations en matière d’orthographe française de 1738 enseignants et futurs enseignants de six pays francophones au travers de leurs réponses à un même questionnaire. Les témoins devaient, dans une question ouverte, justifier l’accueil qu’ils réserveraient à une éventuelle réforme, et ils étaient par ailleurs invités à dire dans quelle mesure ils adhéraient à un ensemble de 28 propositions. Une certaine oscillation caractérise la position de beaucoup des témoins, qui émettent des points de vue tantôt favorables, tantôt hostiles à une réforme. Ce balancement pourrait être le reflet d’avis mitigés, synthétisables dans une formule du type « Oui, mais ». Bien des commentaires, dont certains témoignent d’un manque crucial d’information, se bornent par ailleurs à reproduire en fait les stéréotypes habituels, sans autre examen. L’analyse met en évidence des différences selon les groupes. Elle montre aussi qu’on peut intervenir sur les représentations et les modifier par une formation appropriée.
Dans 6 pays francophones, 988 enseignants et 750 futurs enseignants ont été invités à exprimer leur degré d’adhésion à un ensemble de 17 propositions de réformes de l’orthographe française. Parmi les réformes les mieux classées, on trouve celles qui concernent l’accord des participes passés, ainsi que celles qui simplifieraient les consonnes doubles. La suppression des lettres grecques soulève bien des résistances, sauf chez les témoins algériens et marocains. Les personnes interrogées rejettent en revanche massivement toute perspective d’une orthographe à stricts fondements phonologiques. L’ordre des préférences ne distingue pas les réformes selon qu’elles relèvent de l’orthographe grammaticale ou de l’orthographe lexicale. Les réponses à une autre question, qui demande aux témoins de sélectionner, parmi les 17 points, ceux qu’ils estiment prioritaires, confirme largement la hiérarchie dressée par les données de la question précédente.
Cette contribution s’intéresse aux représentations de ce que serait, pour 1738 enseignants et futurs enseignants de six pays francophones, une « bonne » réforme de l’orthographe. Une analyse thématique de réponses libres à une question ouverte a permis d’identifier des propositions, qui ont été regroupées en blocs thématiques, desquels se dégage une polarisation marquée autour de deux attitudes. L’une, pragmatique, se manifeste dans des propos favorables à une simplification de certains points de la norme graphique, principalement à des fins de rationalisation, de facilitation d’usage et d’apprentissage. L’autre, fortement teintée d’idéologie, est une attitude d’attachement à des aspects symboliques de l’orthographe (étymologiques, esthétiques, moraux, identitaires, etc.), allant d’un rejet de toute réforme à des formes plus subtiles, notamment des concessions ou des oppositions. Mais ces deux attitudes ne sont pas mutuellement exclusives: elles coexistent souvent dans un même énoncé manifestant un désir de simplification mais en limitant fortement la portée. Mots clés : RO, réforme orthographique, représentations, attitude pragmatique vs attachement symbolique, ambivalence
Cet article porte sur la connaissance en 2010, par les enseignants en poste ou en formation, des rectifications de l’orthographe françaises adoptées en 1990. En comparant les réponses obtenues dans l’enquête du groupe RO à d’autres enquêtes menées depuis 1990, il permet aussi de mesurer l’évolution de cette connaissance dans plusieurs pays francophones. L’originalité des données analysées ici est de porter aussi sur la prise en compte des formes recommandées par les enseignants en classe. Parmi les principaux résultats dégagés, figure le fait que les recommandations sont très diversement connues selon les pays : la Belgique est sur ce point la plus informée, et la France celle qui a le moins diffusé ces recommandations. Il apparait aussi que si plusieurs points touchés par les rectifications font aujourd’hui un large consensus, certains points restent partout –mais à des degrés divers– l’objet de resistances. Enfin, il apparait que qu’elle que soit la situation étudiée, les choses sont encore en train d’évoluer, toujours vers une connaissance et une prise en compte plus massive des recommandations. Mots-clés : rectifications de 1990, réforme, identité, politique éducative.
Un corpus de commentaires métalinguistiques issus de la presse et d'internet nous permet d'aborder la question de l'autorité dans les débats sur les projets de réforme de l'orthographe en France : quelqu'un a-t-il le droit de prendre des décisions concernant la langue française ? Si oui, qui, d'après les locuteurs ordinaires, revêt cette autorité ? Dans un premier temps, nous montrerons que les contenus que les scripteurs souhaitent réformer appartiennent aux « zones instables » de l'orthographe (Jaffré et Fayol, 1997), ce qui confirme les récentes recherches en linguistique populaire à propos de la finesse de certaines observations des non-linguistes. Dans un second temps, nous verrons quelles sont les autorités linguistiques susceptibles de mener une réforme de l'orthographe. Enfin, nous plaiderons pour la prise en compte de la confiance épistémique dans les discours d'autrui, ce qui nous parait une question intéressante afin de mieux cerner les conditions pour que les locuteurs ordinaires acceptent une réforme de l'orthographe.
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