Revue de sociolinguistique en ligne | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
N°26 | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Sommaire
ISSN : 1769-7425 |
Présentation par Catherine Brissaud et Clara MortametLes francophones ont un rapport passionné avec leur orthographe, fait de vénération, de soumission, d’identification et de distinction. Cela fait de l’orthographe un objet de réflexion particulièrement fécond pour la sociolinguistique francophone. Nous avons choisi, pour ce numéro, de nous arrêter sur une pratique emblématique de son enseignement et de son évaluation : la dictée. Un premier ensemble de contributions réunies ici confirme qu’elle est non seulement très pratiquée à l’école en France, mais qu’elle est plus généralement quasi-incontournable quand il s’agit d’enseigner le français écrit hors de France. Elle doit son succès aux vertus didactiques et docimologiques qu’on lui prête et qui font l’objet de la plupart des contributions de ce numéro. Mais elle sert aussi à assoir, renforcer ou réaffirmer la légitimité d’un usage, d’une tradition, d’un groupe social. C’est ce que nous révèle en particulier l’engouement pour les dictées publiques ou concours d’orthographe : elle sert alors à légitimer des usages de langues minoritaires – le breton dans ce numéro –, à certifier des éruditions ou encore, plus récemment, à valoriser des locuteurs invisibles ou minorisés – la dictée des Cités[1 ]. Ces pratiques publiques de la dictée sont peu présentes dans ce numéro. Elles constituent néanmoins un paysage dont il convient de tenir compte. Ces dictées publiques mettent en lumière le fait que la dictée est un véritable rituel, qui à la fois consacre l’orthographe du français et ses aspects les plus arbitraires, mais réunit aussi les locuteurs autour d’un « bien commun », fruit d’un héritage mythique. Au-delà de ces invariables de la dictée, l’intérêt de ce numéro est de montrer combien les pratiques de dictée, à l’école et hors de l’école, ne sont pour autant ni figées ni homogènes. Si l’on s’en tient aux pratiques scolaires, on la rencontre de plus en plus comme support d’apprentissage, comme moyen de faire parler les élèves de leurs pratiques et de leurs raisonnements orthographiques : la dictée « classique » dont parle un enseignant n’est plus aujourd'hui nécessairement la dictée magistrale. L’enseignant guide l’élève pendant la dictée, l’élève doit analyser ses erreurs, parfois défendre son raisonnement et « négocier » avec ses pairs ou avec l’enseignant les arguments pour telle ou telle graphie. Plusieurs contributions montrent ici combien les représentations que les différents participants se font de l’orthographe et de la langue déterminent cette hétérogénéité de pratiques. Là encore, la pratique de la dictée révèle sa force glottopolitique. Un second ensemble de contributions témoigne de ce qu’on utilise la dictée aussi parce qu’elle garantit – ou semble garantir – une évaluation « objectivée » des compétences à l’écrit. Elle permet de mesurer des niveaux de compétence au sein d’une classe, d’une région, d’une population, et éventuellement de classer ou de repérer des locuteurs. Elle est donc choisie aussi comme un outil, et il convient à ce titre que l’on réfléchisse à ce que cet outil mesure ou diagnostique, aux conditions de son emploi, aux effets qu’il produit, à l’interprétation des résultats. Le point de vue de l’institution scolaire est relativement bien représenté, et l’on voit en particulier décrits les points de vue complémentaires de l’institution et des enseignants sur cet outil d’évaluation des élèves. Le rapport à l’erreur, l’interprétation de l’erreur et son analyse y sont également centraux, au point que la dictée s’avère aussi un outil qualitatif de l’analyse des pratiques et des compétences, et pas seulement un outil visant à établir des scores de performance d’un système éducatif. Un dernier ensemble de contributions, enfin, montre comment la dictée peut servir hors de l’école, pour repérer des personnes en difficulté avec l’écrit, ou pour établir des normes statistiques, à partir desquelles on pourra repérer des populations atypiques. Pratiques de dictées L’article de Malo Morvan, qui inaugure ce numéro, offre grand nombre d’éléments de réflexion, d’ordre général ou particulier, qui invitent à réfléchir à la diversité des pratiques de dictée. En s’intéressant à des dictées publiques en breton – la skrivadeg, il nous permet un pas de côté particulièrement fertile. En tout premier lieu, il comble d’une certaine façon l’absence, dans ce numéro, de textes d’ordre historique sur la dictée – absence davantage due à ce qu’il n’y a sans doute plus tant à en dire depuis Chervel (2006) ou Caspard (2004). En particulier, il nous rappelle les débats, les tensions, les conflits dans lesquels se construit tout consensus autour de la fixation d’une orthographe. Il souligne combien la référence, par la dictée, à une orthographe, marque toujours une adhésion, sans cesse renouvelée, à une norme, et constitue l’un des principes unificateurs privilégiés des communautés linguistiques et nationales européennes. La dictée est un lieu de cohésion, une « communion » nous dit l’auteur. Cette idée de rassemblement repose sur un fondement qui n’est jamais remis en cause : on ne fait jamais référence qu’à une seule forme possible, à une norme unique, qui exclut toute variation – situation, nous dit l’auteur, d’autant plus paradoxale que c’est l’idéologie même qui a contribué à la perte du breton. En dehors de quelques allusions ici ou là, on retrouve cette référence à une norme unique dans la plupart des situations de dictée décrites dans ce numéro : les grilles de correction ne prévoient quasiment jamais plusieurs formes acceptables – principe sur lequel reposent pourtant les rectifications orthographiques de 1990. Ce texte met enfin le doigt sur d’autres aspects de la dictée, qui mériteraient peut-être d’être réaffirmés pour d’autres pratiques de dictée, et en particulier pour les dictées scolaires ; en premier lieu, l’article situe la dictée publique parmi les jeux, à ce titre plus proche d’une course à pied, d’un rallye ou d’une « poule à la manille » que d’un examen : c’est une fête populaire, dont le but est d’abord de s’amuser. Cela tient bien sûr au volontariat des participants. Mais on pourrait se demander si, à l’école, elle n’est pas aussi traversée par un aspect ludique, quand les élèves sont invités à déjouer des « pièges », à « viser juste » sur tel ou tel point. Des pratiques ancrées dans la tradition L’importance de la pratique de la dictée à l’école en francophonie a déjà été soulignée par Brissaud et Cogis (2011 : 111-121). Chervel a montré, quant à lui, que bien que pratiquée depuis plusieurs siècles, elle a beaucoup évolué (2006). L’article d’Evelyne Delabarre et de Marie-Laure Devillers réaffirme, à l’appui de données récentes, le caractère incontournable de la dictée. Mais les auteures montrent aussi que l’on est loin du modèle magistral, peut-être mythique : les enseignants ne font jamais que dicter un texte, mais dans le même temps rappellent des consignes formelles, des règles de comportement et d’interaction, voire anticipent sur les difficultés des élèves et livrent un grand nombre d’« indications », qui guident leur attention ou leur raisonnement orthographique. En comparant plusieurs situations de dictées, cet article montre aussi la très grande hétérogénéité des réalisations concrètes, et amorce l’idée, qui sera poursuivie dans l’article de Combaz et Elalouf, que cette variabilité tient pour partie aux élèves, mais tient aussi à la variabilité des rapports personnels et professionnels des enseignants à l’objet enseigné. La contribution de Téguia Bogni et de Mohamadou Ousmanou confirme l’importance de cette activité, cette fois hors de France. La dictée est en effet très présente dans les pays francophones africains. La situation qu’ils exposent est remarquable à plusieurs titres : on y trouve l’expression la plus forte de la « dictée-contrôle », voire la « dictée-sanction » puisqu’il apparait que la dictée donne lieu à « un festival de zéros », à tel point que l’on ne peut lui trouver aucune qualité diagnostique, ni même formative. Mais le plus surprenant est l’attachement que lui portent des institutions éducatives, en cohérence avec leur revendication d’enseigner le français au Cameroun en dépit des autres langues en présence, comme une langue maternelle des apprenants et non comme une langue seconde. Des dictées pour apprendre À côté de ces pratiques relativement traditionnelles, ce numéro de Glottopol a été aussi l’occasion de rendre compte d’expériences, de plus en plus nombreuses, où la dictée devient un moyen de faire émerger des conceptions des élèves. Il est ainsi question, avec les trois contributions qui suivent de phrase dictée du jour et de dictée 0 faute, de dictée négociée et de négociations orthographiques entre élèves. Chaque fois, les analyses s’appuient sur des interactions en classes (entre élèves, avec l’enseignant), interrogent les pratiques d’étayage, les conceptions et les raisonnements des élèves, et dégagent quelques-unes des conditions de réussite de ces activités. Ces trois contributions participent ainsi du renouvellement actuel des pratiques d’enseignement de l’orthographe (telles que suscitées par les travaux de Haas et Lorrot, 1996). Elles sont à ce titre particulièrement intéressantes pour les enseignants, futurs enseignants et les formateurs qui nous lisent. Danièle Cogis, Carole Fisher et Marie Nadeau, soulignant les paradoxes liés à la dictée, dont les vertus n’ont jamais été démontrées, décrivent deux dispositifs innovants : la phrase dictée du jour et la dictée zéro faute testés dans le cadre d’une recherche-action franco-québécoise. Leur hypothèse est que le temps octroyé aux élèves pour apprendre à mettre en œuvre des raisonnements grammaticaux, à mobiliser leurs connaissances, est un temps bénéfique aux apprentissages. C’est ainsi qu’elles donnent à voir des élèves en prise avec la complexité de l’orthographe du français quand ils écrivent « Tout le monde sera récompensé » ou « Les feuilles colorées des arbres composent un paysage… ». Les échanges recueillis dans la classe révèlent des « nœuds sémantiques imbriqués » que les dispositifs permettent de travailler. Plusieurs mois d’expérimentation permettent d’obtenir des procédures efficientes, par l’utilisation du métalangage et des manipulations, y compris pour les élèves faibles, dont les progrès sont considérables, autant en situation de dictée qu’en situation de production d’écrit. Pour les trois auteures, les deux dispositifs testés permettent ainsi de « combler le vide entre l’énoncé de la règle et son application ». La contribution de Catherine Combaz et de Marie-Laure Elalouf vise à mesurer l’effet des représentations que les enseignants se font de l’orthographe et de son enseignement sur leur pratique en classe. Sur ce point, cet article prolonge très utilement les réflexions amorcées par Evelyne Delabarre et Marie-Laure Devillers. Les auteures montrent ainsi qu’il s’agit de l’une des variables déterminant fortement la qualité de l’étayage de l’enseignant : « Les enseignants agissent alors en fonction de plusieurs paramètres dont ils ont plus ou moins conscience : leur facilité à mobiliser des scénarios d’enseignement plus ou moins bien intériorisés, leur volonté d’être exhaustif au regard du savoir en jeu (ou du savoir à enseigner), leur souhait de répondre aux obstacles que chacun des élèves leur a donné à voir et à comprendre… ». En outre, elles soulignent un aspect déjà souligné par Danièle Cogis, Carole Fisher et Marie Nadeau : le fait que l’usage des métatermes est un élément pertinent pour décrire la diversité des pratiques, en ce qu’il facilite ou fait obstacle à l’apprentissage de l’orthographe. Véronique Miguel Addisu conduit une étude de type ethnographique qui s’attache à décrire les pratiques de dictée dans six classes de CM1. L’originalité de l’approche provient de la focalisation sur les temps de correction et leurs effets sur les élèves. La dictée comme outil de mesure Dans les contributions suivantes, on retrouvera plus d’une des questions soulevées jusqu’ici, mais on interrogera cette fois la dictée comme pratique permettant de mesurer, d’évaluer les compétences de populations à l’écrit. Il s’agit donc d’interroger les conditions dans lesquelles on l’utilise, ce qu’elle mesure, et comment on interprète les résultats. On essaie cette fois d’objectiver, de ne pas trop dépendre des représentations des différents acteurs. On interrogera ainsi la question des textes proposés, du traitement des erreurs, des barèmes, des comparaisons de résultats. Mesures par l’institution scolaire
L’interview par Catherine Brissaud de Bruno Trosseille, chef du bureau des écoles à la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) concerne la place de la dictée dans les évaluations conduites par la DEPP. La dictée est relativement peu utilisée par la DEPP, essentiellement pour des raisons de cout, mais aussi parce qu’elle est considérée comme un indicateur tout relatif de la compétence orthographique. Sa mise en œuvre peut viser deux objectifs très différents. Le premier objectif peut être de mesurer, à plus ou moins long terme, l’évolution dans le temps des compétences des élèves. Dans ce cas, les passations sont contrôlées et la correction est centralisée, et l’évaluation peut constituer une aide à la décision politique. Son objectif peut aussi être d’établir un bilan, une mesure diagnostique en début d’année afin d’aider les enseignants à organiser leur enseignement. Dans ce cadre, qui est celui des évaluations nationales telles que pratiquées depuis 1989, c’est l’enseignant qui fait passer les évaluations à sa classe. La prise de décision politique ne peut donc s’appuyer sur les résultats des dernières évaluations nationales, qui changent tous les ans et dont les conditions de passation ne sont pas contrôlées. Sophie Anxionnaz présente un nouveau système de notation, qui a été expérimenté pour l’évaluation de la dictée du brevet des collèges. C’est ici l’institution elle-même qui explore d’autres voies d’évaluation et qui propose un barème alternatif au barème traditionnel adopté pour la dictée du brevet. Ce système de notation nouveau, initié avec Olivier Barbarant, Inspecteur Général, met davantage en relief les réussites que le barème traditionnel, qui procède par retrait de points ; il a donc pour ambition de « changer la perception de la dictée, et, avec elle, de l’orthographe, pour réconcilier les élèves avec l’écriture ». Ici on regroupe les items par grandes catégories d’erreurs sans forcément prendre tout en compte : les accords dans le groupe nominal, les accords sujet-verbe et le lexique font l’objet d’un sous-score de réussite. Plus qu’un barème renouvelé, c’est un véritable outil de calcul qui est proposé. L’enseignant saisit le texte de la dictée, choisit les éléments qui seront évalués, les répartit dans les trois catégories. Au bout du compte c’est une évaluation de la dictée mieux intégrée à l’apprentissage qui est proposée, avec un barème raisonné. Analyser les erreurs
Mesurer au moyen de la dictée peut aussi donner lieu à des analyses qualitatives des productions recueillies, et l’on s’interroge alors non plus tant sur les « niveaux des élèves » que sur l’hétérogénéité de leurs erreurs d’orthographe. C’est aussi dans un rapport positif à l’erreur que se situe Jeanne Gonac’h, qui examine les erreurs, ou plutôt ce qu’elle considère comme de la variation, dans quatre textes de dictée recueillis dans quatre classes de CM1. S’appuyant sur des travaux de sociolinguistes de l’écriture (Lucci et Millet, 1994), mais aussi sur le travail fondateur d’Henri Frei dans sa Grammaire des fautes, paru en 1929, elle s’intéresse à des secteurs de l’orthographe identifiéscomme complexes, les formes verbales en /E/, les morphogrammes lexicaux et le doublement des consonnes. Les erreurs sont alors envisagées comme « révélatrices » du fonctionnement du système d’écriture, mais aussi du fonctionnement des élèves en situation d’écriture scolaire. Elles ne sont donc pas aléatoires, et traduisent aussi des formes de compétences des élèves, ainsi que les rapports qu’ils entretiennent avec l’orthographe. On y observe, en particulier, de nombreux phénomènes de simplification, de régularisation – que l’on peut expliquer avec Frei en termes d’assimilation ou d’invariabilité – et de rares situations de complexifications par rapport à la forme attendue, qui peuvent faire penser à des efforts de distinction. Un peu en marge car il concerne la lettre et non la phrase ou le texte, l’article de Sophie Briquet-Duhazé se focalise sur la dictée de lettres au CM1. La connaissance du nom des lettres (leur nom, leur son, leur graphie) apparait en effet comme un bon « prédicteur » de la réussite future en littéracie, c’est-à-dire la capacité à utiliser ses connaissances en lecture et en écriture. Une première expérimentation, conduite avec plus de 300 élèves de CE2 montre que la connaissance du nom des lettres n’est pas parfaitement maitrisée par la moitié des élèves à ce niveau de scolarité. C’est pourquoi l’auteure propose une dictée individuelle de lettres à 30 élèves de CM1 d’une école classée en REP. Si le groupe des huit « bons lecteurs » ne fait pas d’erreur, on note des hésitations, des oublis, des erreurs (par exemple des confusions : v pour w, w pour z, q pour k) pour 19 élèves. L’auteure attire ainsi l’attention sur des « apprentissages admis » qu’elle propose de contrôler, y compris avec des élèves avancés dans leur scolarité. La dictée hors de l’école Les trois dernières contributions sortent du contexte scolaire, pour envisager la dictée comme une épreuve visant à mesurer les compétences en écriture d’une population. Il s’agit dans ces contributions de trouver le moyen de caractériser des populations atypiques, qu’elles soient en grande difficulté (Jean-Pierre Jeantheau ; Carole Blondel et Jeanne Conseil), ou qu’elles relèvent de l’orthophonie (Mickaël Lenfant). Dans les deux cas, cela implique de s’interroger sur l’étalon à partir duquel établir ces profils atypiques, de se demander, pour chaque population, ce qu’il est normal de savoir écrire ou non. La contribution de Jean-Pierre Jeantheau s’appuie sur l’enquête Information et Vie quotidienne (IVQ) menée par l’INSEE en France depuis 2004. Cette enquête est d’abord décrite dans ce qu’elle a de particulier ou de commun avec les autres enquêtes de mesure des compétences de lecture-écriture-numéracie menées dans la plupart des pays occidentaux – mais aussi en Corée et en Chine. S’appuyant sur un relevé systématique des différentes expériences, internationales ou nationales, il montre l’originalité de l’approche française, l’une des seules à évaluer les compétences de mise à l’écrit des locuteurs, au moyen d’une dictée de mots. Ainsi, en dehors des initiatives, en Chine ou en Allemagne, décrites par l’auteur, les locuteurs sont évalués dans la plupart des enquêtes sur leur capacité à recevoir des informations par écrit, mais beaucoup plus rarement à en émettre. L’article de Carole Blondel et de Jeanne Conseil porte lui aussi sur les données de l’enquête IVQ, mais s’attache à décrire plus précisément les formes relevées pour orthographier 16 mots de l’enquête conduite par INSEE, au sein de deux sous-populations : celle des haut-Normands et celle des Rhônalpins en potentielle difficulté avec l’écrit. Elles mènent cette analyse à l’appui de différentes approches complémentaires. Elles commencent ainsi par relever les taux de réussite pour chacun des mots, en établissant deux « niveaux de réussite » : une réussite « orthographique » – réussite « totale » pourrait-on dire –, lorsque la forme orthographique attendue est donnée, et une réussite « phonographique » lorsque la forme produite, bien qu’erronée, correspond à une transcription phonographique possible de la forme orale dictée. Ces deux scores permettent ainsi de dégager trois profils de scripteurs, et s’avèrent particulièrement intéressants pour évaluer les compétences à l’écrit des personnes considérées au terme de l’enquête comme étant en difficulté. Dans un second temps, se concentrant sur les trois graphies qui ont posé le plus de difficulté aux scripteurs dans les deux régions, les auteures analysent la dispersion des réponses produites et dégagent les formes graphiques récurrentes dans le corpus. Elles montrent ainsi à la fois la diversité des stratégies et des procédures d’écriture à l’œuvre dans cette population, mais aussi des phonèmes et des graphèmes particulièrement sources de variation. L’article de Mickaël Lenfant, qui clôt ce numéro, offre une dernière application possible de la dictée, telle qu’elle est pratiquée en orthophonie. Bien que très peu décrite, celle-ci partage avec le reste des contributions plusieurs pistes de réflexion. L’objectif de la dictée qu’il décrit est pourtant au départ assez particulier puisqu’il s’agit de dégager ce que serait une compétence « normale » en orthographe à un âge donné – de 8 ans (CE2) à 11 ans (CM2) : « à la différence de l’école, où les résultats sont comparés par rapport à une note maximale et à la moyenne de sa classe, en orthophonie, les résultats du patient sont comparés par rapport à la moyenne des enfants de son âge ou de son niveau scolaire ». Plutôt que de diagnostiquer des défauts pour y remédier, il s’agit de repérer les erreurs « normales », d’étalonner des pratiques, dans la perspective de repérer des pratiques a-normales, qui pourraient relever de l’orthophonie. Ainsi la notion de pathologie s’appuie-t-elle sur l’idée d’un seuil, est établie comme un écart statistiquement peu probable à la norme. Le projet rejoint ainsi le vœu de Jean-Pierre Jeantheau, qui souligne l’écueil méthodologique qu’il y a à comparer les pratiques des personnes en difficulté avec la norme théorique et non avec la norme statistique, c’est-à-dire avec le dictionnaire plutôt qu’avec l’usage. Mais l’idée de norme ou de normalité risque, si l’on en reste là, de se limiter au seul critère de fréquence : ce qui est normal est ce qui est courant. C’est pourquoi Mickaël Lenfant complète cette approche par une analyse qualitative des productions des enfants, qui s’avère indispensable pour éclairer l’approche statistique et repérer les pathologies. À la lecture de ces contributions, il apparait que le succès de la dictée repose sur différents aspects. La dictée est d’abord une tradition, qui réunit les locuteurs avec leur passé – scolaire en particulier– et avec leur communauté linguistique. Elle s’avère d’une grande puissance identitaire, ce qui explique les réactions et les résistances fortes qu’elle soulève lorsqu’il s’agit d’en modifier son barème ou ses fonctions. Cela explique également l’importance des représentations et des pratiques qu’elle génère, etc. Mais son maintien est renforcé, plus récemment, par une tendance forte, dans les sociétés occidentales, aux évaluations quantitatives nationales et internationales. Au-delà de la diversité des situations qui sont présentées dans ce numéro, la dictée est toujours abordée comme une pratique sociale, mettant en lumière les fonctions qui lui sont données, que ce soit en termes didactiques et/ou sociolinguistiques. Chaque fois, il apparait que les pratiques sont fortement déterminées par les représentations que se font participants et observateurs – c’est-à-dire les concepteurs, les scripteurs, les analystes des résultats, … – de l’orthographe, et de sa capacité à intégrer les locuteurs dans la communauté de la langue – française ou bretonne. [1 ] Dictée publique organisée dans plusieurs « quartiers de France et au-delà de nos frontières » par l’écrivain Rachid Santaki et le président de l’association Force des Mixités Abdellah Boudour. Plus d’informations sur : http://ladicteedescites.com/. Lire aussi l’article de Rachid Santaki, « Quand la dictée réunit toutes les France » (juin 2015) : http://www.huffingtonpost.fr/rachid-santaki/dictee-des-cites-saint-denis_b_7419296.html. Bibliographie BRISSAUD Catherine, COGIS Danièle, 2011, Comment enseigner l’orthographe aujourd’hui ?, Hatier, Paris. Sommaire
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Résumés
Cet article observe l'événement festif nommé "ar skrivadeg", dictée autour de la langue bretonne, apparue au début des années 2000 jusqu'à 2014. Les discours des promoteurs de l'événement nous montrent que ceux-ci défendent sa dimension fédératrice. Certes, cette dictée survient dans un contexte historique où les débats concernant les orthographes du breton se sont fortement apaisés. Néanmoins, il demeure des clivages entre différents profils de locuteurs, comme le montrent autant l'évolution des textes soumis à la dictée que les discours à son sujet dans le monde du militantisme breton. En ce sens, la rhétorique œcuméniste de ses promoteurs cache difficilement les désaccords qui subsistent encore quant à la définition même de ce que serait un "bon breton" susceptible d'être soumis à la dictée. ajout d'un erratum (décembre 2017)
Dans le lien étroit qui s’établit entre école et orthographe, cet article considère la place de la dictée dans les taches scolaires mises en place par les enseignants. Mots clés : sociolinguistique, orthographe-dictée, pratiques enseignantes
Au Cameroun, comme dans de nombreux pays francophones, la pratique de la dictée est une tradition. Activité emblématique, la dictée semble s’être pourtant figée en une activité monotone, avec des résultats de plus en plus déclinants. Même si cette activité garde son prestige et ses vertus, notamment pour ce qui est de l’apprentissage de certaines difficultés orthographiques, nous montrerons que, dans les pratiques, elle ne répond pas toujours au principe d’évaluation des enseignements effectivement dispensés. De même, les choix didactiques se trouvent quelquefois en contradiction avec la situation sociolinguistique, et débouchent sur des incongruités, comme celle qui consiste à opter pour une didactique du français langue première pour une population d’apprenants ayant déjà une langue première autre. Mots clés : dictée, évaluation, didactique, français langue première, français langue seconde
Hors de la dictée, point de salut ! Voilà, en gros, le statut que cet exercice scolaire conserve depuis des décennies dans le domaine de l’enseignement du français. Après avoir examiné cet état de fait et rappelé que la dictée traditionnelle n’est ni un bon outil d’évaluation, ni un bon outil d’apprentissage, nous présentons dans cet article des formes de dictées qui, au contraire, permettent aux élèves d’apprendre par la réflexion et la résolution de problème. Nous précisons l’origine et les fondements de ces dispositifs innovants et en illustrons l’intérêt en présentant et discutant un exemple du déroulement de la phrase dictée du jour en contexte français. Suivent deux autres exemples (phrase dictée du jour et dictée 0 faute) provenant d’une recherche québécoise, laquelle a permis de démontrer l’effet très positif et statistiquement significatif de ces dictées métalinguistiques sur les compétences orthographiques des élèves. Certaines différences relevées dans la conduite de ces activités en contexte français et québécois nous amènent, en conclusion, à nous interroger sur leurs sources : s’agit-il de choix différents dans les démarches ou, encore, de différences culturelles plus profondes ?
Dans la lignée des travaux sur les conceptions orthographiques des élèves, nous avons observé la mise en œuvre d’une même dictée, comportant entre autres, des difficultés liées à l’orthographe du son [e] d’un verbe, dans trois classes de CM2, après avoir mené avec chaque enseignant un entretien semi-directif pour apprécier son rapport personnel et professionnel à l’orthographe. Ces observations ont permis de dégager des pratiques pédagogiques convergentes et divergentes quant à la façon même de dicter. Les interactions conduites pour lever les erreurs orthographiques des élèves font apparaitre différents types d’interventions des enseignants, plus ou moins en écho avec leurs représentations de l’enseignement/apprentissage de l’orthographe. Un regard orienté sur la variabilité de l’utilisation du langage et du métalangage dans ces situations de réflexion sur la langue permet de mettre au jour des « styles pédagogiques » qui portent trace de ce que sont ces enseignants dans leur « relation » à l’orthographe. Mots clés : dictée, rapport à l’orthographe, pratiques enseignantes, interactions orales, manipulations linguistiques
Le temps de correction d’une dictée participe de plein droit à l’apprentissage de l’orthographe. Si demander aux élèves de corriger leurs copies et les accompagner est une forme d’évaluation formative, toutes les manières de corriger une dictée ne se «valent » sans doute pas. On étudiera l’efficacité des corrections produites par des élèves de CM1 dans un corpus de copies recueillies lors d’observations ethnographiques dans 6 classes, représentatives de trois approches didactiques différentes (projet PEON). L’analyse montre que plus le maitre favorise un processus de validation de la norme orthographique, moins il y a d’erreurs, mais aussi moins de ressources pour les corrections. À l’inverse, plus le maitre favorise un processus d’apprentissage d’une posture métalinguistique, meilleure est la correction ; mais il y a aussi plus d’erreurs sous la dictée. Dans ces temps finalement assez peu formalisés, l’orthographe se construit en lien avec des apprentissages implicites d’un certain rapport aux normes, que l’on sait à la fois structurant pour la réussite à l’école et contribuant aux inégalités scolaires.
Cet article est avant tout un compte rendu d’expérience : il s’agit de l’invention et de l’expérimentation d’un nouvel outil d’évaluation de la dictée, prenant appui sur les classes de troisième (série générale et 3ème prépa-pro) préparant au Diplôme National du Brevet. Après avoir été présenté à la Dgesco et testé au plan national pour sa maniabilité et ses effets docimologiques, le « barème graduel » est travaillé dans l’académie conceptrice en tant qu’évaluation positive qui doit permettre aux élèves de progresser. En effet, les performances des élèves au DNB en 2013 révèlent la diversité des compétences des élèves et la nécessité d’envisager la dictée dans une perspective d’évaluation formative. L’expérimentation, à la rentrée 2014, du barème graduel dans les classes ouvre alors des perspectives pédagogiques et didactiques propres à faire évoluer le regard et les pratiques sur un exercice emblématique de l’Ecole et sur l’apprentissage de l’orthographe en général.
La dictée est un exercice qui met à l’épreuve les aptitudes orales et écrites de l’apprenant. Elle implique inéluctablement le passage par l’apprenant, de la phonie (ce qu’il entend) à la graphie (ce qu’il écrit). Très souvent, ce passage est quelque peu perturbé ou affecté par des facteurs purement linguistiques (par exemple des incompétences en grammaire ou en orthographe) et sociolinguistiques/paralinguistiques (les interférences linguistiques) entre autres. Cet article qui se propose d’étudier le cas des apprenants nigérians du FLE montre la manière par laquelle les interférences des langues nigérianes (vernaculaires et véhiculaires) affectent ce passage de la phonie à la graphie en dictée. Les langues locales (interférentes) principalement considérées sont le Nigerian Pidgin (NP), le Yorouba, l‘Efik et l’Ibiobio. L’article s’appuie sur une analyse textuelle d’un corpus de 90 copies de dictée produites dans un contexte pédagogique par des apprenants de FLE de troisième et quatrième années ayant comme première langue les codes linguistiques susmentionnés. Mots clés : Langues maternelles, Interférences Linguistiques, Phonie, Graphie, Dictée. FLE : Français comme Langue Etrangère
Dans cet article, nous travaillons sur les variations orthographiques relevées dans les dictées d’élèves de CM1 scolarisés dans quatre écoles de la région rouennaise en Normandie. Les variations sont analysées dans une perspective qualitative à partir des travaux de Frei ([1929] 1971), et de Millet et Lucci (1994). Les types de variation révèlent d’abord une conscience élevée de l’irrégularité du français car les élèves n’utilisent jamais de façon mécanique les règles d’orthographe du français. Ils montrent également que la majorité des élèves répondent au besoin de sécurité dans le cadre très contraint de la dictée.
Si la dictée demeure un exercice de l’enseignement/apprentissage de l’orthographe à l’école élémentaire, elle suppose une compétence de base : la connaissance des lettres. Cette connaissance des lettres en isolé se décline en trois valeurs : la connaissance du nom, du son et de la graphie. Notre recherche longitudinale porte sur le niveau de conscience phonologique et la connaissance des lettres chez des élèves âgés de 8 à 11 ans. Nous présentons ici la dictée de lettres au cycle 3 après avoir précisé les résultats concernant le nom des lettres. L’objectif est de montrer que des élèves de cycle 3 peuvent ne pas maitriser la dictée de lettres de l’alphabet, non pas uniquement à cause d’une difficulté du geste graphique mais surtout parce que ces élèves ne connaissent pas le nom des 26 lettres de l’alphabet.
L’enquête Information et Vie Quotidienne (IVQ), conduite par l’INSEE en partenariat avec de nombreuses organisations et équipes universitaires vise à évaluer les compétences des adultes face à l’écrit et à repérer ceux qui peuvent être considérés comme ayant des difficultés lorsqu’ils sont confrontés à des tâches de leur vie de tous les jours impliquant l’écrit. Il n’est donc pas surprenant, a priori, que figure dans cette enquête une épreuve intitulée Production d’Ecrit (PE), qui est en fait une dictée de mots, une production écrite sous contrainte phonologique, d’autant que l’orthographe tient une place toute particulière en France dans le débat autour de la maitrise de la langue française écrite.
Cet article présente une étude exploratoire des 368 dictées produites par les scripteurs haut-normands et rhônalpins repérés en difficulté avec l’écrit dans l’enquête IVQ 2011. Mots clés : Variation orthographique, Capacité d’écriture, Compétences orthographiques, Compétences phonographiques, Public en difficulté
Dans cet article, nous analysons d’un point de vue psycholinguistique et sociolinguistique les résultats et le corpus issus du testing d’une dictée à trous extraite d’un bilan orthophonique informatisé. A la différence de l’école, où les résultats de l’élève sont comparés par rapport à une note maximale et à la moyenne de sa classe ; en orthophonie, les résultats d’un patient sont comparés par rapport à la moyenne des enfants de son âge ou de son niveau scolaire. C’est à la manière dont cette moyenne se construit que nous nous intéressons. À travers deux approches croisées, à la fois quantitative et qualitative, les objectifs sont de souligner l’intérêt de construire des normes « écologiques », qui intègrent la variation orthographique, et de déterminer l’importance de variables sociologiques (sexe, milieu scolaire, milieu socioprofessionnel). Nous précisons également la notion de seuil de pathologie et mettons en avant l’importance d’une analyse fine des erreurs, notamment pour diagnostiquer une dysorthographie.
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