Revue de sociolinguistique en ligne | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
N°5 | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Sommaire
ISSN : 1769-7425 |
Présentation par Clara MortametLes situations
de plurilinguisme en France ont fait l'objet ces deux dernières décennies
d'une activité de recherche sociolinguistique intense et riche. Que ce
soit sur les langues régionales ou sur les populations issues de l'immigration
en France, toutes les recherches ont permis de réunir des données
et de nourrir des réflexions importantes. Si l'on ajoute les recherches
menées sur les usages du français hors de France, et en particulier
dans des communautés sociolinguistiques dont sont originaires certains
des immigrés en France, il apparaît que notre connaissance des situations
de contact de langues a considérablement progressé. En l'occurrence, les contributions à ce numéro permettent de dégager trois pistes de recherche - qui ne prétendent d'ailleurs pas à l'exhaustivité des perpectives dans ce domaine :
1. Les pratiques langagières des plurilingues en France : approche linguistique et culturelle L'étude sociolinguistique du plurilinguisme a envisagé jusqu'ici différentes directions, qu'il nous semble possible de regrouper grossièrement en deux ensembles : celles qui ont tenté de dégager des principes d'explication sociaux et celles qui se sont concentré sur une approche linguistique des phénomènes de plurilinguisme -sachant bien entendu que plusieurs études ont emprunté ces deux directions à la fois. Dans le premier ensemble de recherches, figurent il nous semble les travaux sur la transmission et les usages des langues et des variétés de langues en famille, réalisés à partir de questionnaires ou d'observations, l'étude des représentations et des jugements épilinguistiques des locuteurs, plurilingues ou non. L'étude des phénomènes d'alternance de langues, et l'étude des parlers mixtes tels que le parler des jeunes "de banlieue" ont davantage donné lieu à l'analyse de phénomènes linguistiques ou discursifs. Les travaux menés sur les pratiques bilingues par les chercheurs en acquisition du langage ou en didactique des langues appartiennent également pour l'essentiel à ce second ensemble de recherches. Ces deux approches du plurilinguisme ont donc permis de couvrir
un champ assez large d'objets, de terrains et de problématiques. Ce champ
pourrait toutefois être complété utilement par la prise en
compte d'un troisième paramètre, qui nous semble avoir été
moins exploité que les deux autres : l'effet que peuvent avoir certains
facteurs culturels sur les pratiques des plurilingues. En comparant des productions écrites de monolingues français
et de bilingues français-turcs en français (lycéens et étudiants),
J. Gonac'h montre que les deux populations ne se distinguent pas vraiment dans
leur application de la norme scolaire - ici réduite à l'orthographe
- : les mêmes écarts sont constatés, et dans les mêmes
proportions. Par contre, c'est dans l'analyse de phénomènes discursifs
(image du professeur, utilisation des guillemets, etc.) que l'on observe le plus
de différences entre les deux populations. Ainsi ce ne serait pas tant
l'application de la norme scolaire que l'usage de procédés discursifs
et l'expression de certaines valeurs qui caractériseraient le mieux les
pratiques des jeunes bilingues français-turc. Ainsi, à partir d'analyses et de
terrains de recherche très différents, ces deux articles montrent
bien l'intérêt qu'il y a à travailler sur des pratiques langagières
de locuteurs plurilingues, et de le faire en étudiant à la fois
des phénomènes d'interlangue et des phénomènes interculturels. 2. Comparaison des populations issues de l'immigration en France Les recherches sur le plurilinguisme des populations immigrées
en France ont la plupart du temps concerné une seule population d'origine
: les jeunes issus de l'immigration maghrébine, l'immigration négro-africaine,
portugaise, italienne, les populations d'origine asiatique, etc. A l'inverse,
peu de travaux ont à notre connaissance comparé ces populations
entre elles du point de vue de leurs usages des langues. Une des perspectives
offertes par les recherches sur le plurilinguisme réside donc dans la comparaison
des situations de plurilinguisme entre elles (en fonction des origines des locuteurs,
mais aussi de leur âge, de leur profession, en comparant des villes entre
elles, des situations urbaines / rurales, etc.). 3. Description des usages et des représentations du français
dans des communautés plurilingues et francophones Les deux derniers articles de ce numéro prolongent enfin une direction de recherche engagée depuis plusieurs années, mais qui reste encore loin d'être épuisée : la description des situations de contact de langues, et plus particulièrement des situations dans lesquelles le français se trouve en présence de langues locales, vernaculaires ou véhiculaires. Ainsi, S. Barnèche nous propose une description sociolinguistique d'un quartier de Nouméa, où se concentre une population d'origines ethniques diverses. A travers la comparaison des compétences et des pratiques entre les générations, elle y observe en particulier le processus de transfert de langues au profit du français. Toutefois, si l'usage et la connaissance des langues d'origines sont en nette régression, leur importance identitaire et les liens maintenus de façon très ferme avec le village d'origine nuancent le pronostic de leur disparition. A. F. Harter enfin, à partir d'un corpus de pratiques déclarées, étudie la place des différentes langues en présence à Yaoundé, ville particulièrement plurilingue. Elle observe également, dans les représentations des locuteurs de la ville, les valeurs et fonctions qu'ils attribuent à chacune des langues en présence. En s'attachant à décrire les usages écrits et oraux dans chaque langue, en distinguant pratiques médiatiques (radio, télévision, presse), pratiques scolaires et pratiques quotidiennes, elle montre ainsi que malgré le nombre de langues en présence, on observe une véritable complémentarité des usages à Yaoundé. Le conflit linguistique n'apparaît ainsi jamais explicitement dans les discours et les représentations des locuteurs ; seules leurs pratiques de minoration des langues camerounaises, le désir de s'inscrire dans une identité ethnique et l'insécurité linguistique vis-à-vis du français témoignent de la tension latente entre les langues au Cameroun. Toutes les contributions de ce numéro suivent donc des
problématiques ou des terrains déjà explorées par
le passé : le plurilinguisme des jeunes issus de l'immigration et leurs
pratiques en français, les usages des langues de l'immigration en France,
le français au contact d'autres langues hors de la France métropolitaine.
Il reste que chacune d'entre elle apporte des éléments nouveaux
et prolongent utilement les travaux sociolinguistiques sur le plurilinguisme,
que ce soit en inventant de nouvelles méthodes d'analyses, en dégagent
de nouveaux paramètres de variation, en décrivant de nouvelles situations
sociolinguistiques.
Réactions au rapport parlementaire Bénisti J'étais en train de finir de rédiger
la présentation de ce numéro lorsque je reçois par courrier
électronique quelques extraits du "rapport préliminaire de
la commission prévention du groupe d'études parlementaire sur la
sécurité intérieure". J'en reste sans voix un moment,
et me demande comment décemment continuer à se féliciter
de l'avancée des connaissances sur le plurilinguisme devant ce retour des
politiques 65 ans en arrière sur cette question ; parce que la marche arrière
engagée par ce texte n'est pas un simple retour au normativisme rigide
des années 50, mais bien au modèle familial et éducatif de
Pétain. Vous pourrez les télécharger de la même façon que les articles de ce numéro, ou bien les lire en ligne. Vous êtes bien entendu invités à nous envoyer vos réactions, qui seront ajoutées à celles déjà reçues. Vous trouverez également sur ce site une lettre adressée aux auteurs du rapport parlementaire. Nous vous invitons à la signer avant le 11/02 minuit.
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Résumés
L'influence de l'origine
culturelle des locuteurs sur leurs pratiques linguistiques est un thème
exploité par les chercheurs de différents domaines en sciences du
langage. Les spécialistes de la communication interculturelle, par exemple,
se penchent sur les problèmes de communication liés à l'origine
culturelle des locuteurs. Mots-clés :
Les enfants de migrants scolarisés en France sont confrontés dès le plus jeune âge à deux univers langagiers, culturels, énonciatifs. Dans ces univers, les contes et récits occupent une place centrale dans la socialisation langagière des jeunes enfants. L'école maternelle d'une part accorde traditionnellement une place importante aux contes et récits en tant qu'acculturation à l'écrit. D'autre part, dans les familles, souvent d'origine rurale où la tradition orale reste vivace, le récit occupe aussi une place importante en tant que vecteur de la mémoire et de la culture du groupe. A partir d'une enquête effectuée dans une école maternelle de la banlieue rouennaise, nous étudions dans cet article l'appropriation par des enfants bilingues des différents modèles narratifs qui leur sont proposés. On voit alors que les goûts des enfants sont influencés par les deux univers culturels. Enfin, l'analyse des récits recueillis montre que la mise en mots particulière aux récits oraux a un effet facilitant pour les enfants dont le français n'est pas la langue première. Le conte a alors un rôle à jouer dans l'appropriation du français langue seconde.
Les populations issues de l'immigration ont souvent été étudiées en sociolinguistique indépendamment les unes des autres - immigration maghrébine, africaine, turque, chinoise, etc. L'objet de cet article est de comparer trois populations d'étudiants d’origines étrangères (origines maghrébine, africaine, turque), auxquelles nous avons ajouté une population monolingue "d’origine franco-française". Les données exploitées, recueillies dans le cadre de deux projets de recherche du laboratoire Dyalang, sont des réponses à des questionnaires écrits. Les étudiants sont ainsi interrogés sur leurs pratiques culturelles (radio, télévision, presse, lecture, écriture, etc.) et sur leurs usages du français, des langues étrangères et des langues d'origine dans ces pratiques. Au-delà des problèmes théoriques et méthodologiques qu’une telle comparaison implique, cet article présente donc les réponses qui distinguent significativement chacune des populations étudiées, et celles qui au contraire révèlent leur appartenance à la communauté sociale des étudiants de France. Mots clés : immigration, plurilinguisme, détermination sociale, pratiques culturelles, usage des langues, étudiants
En Nouvelle-Calédonie, après des décennies de politiques linguistiques défavorables, les langues mélanésiennes viennent d'acquérir une nouvelle reconnaissance en accédant au statut de "langues d'enseignement et de culture". Mais pour les Océaniens installés à Nouméa, les choix linguistiques n'en restent pas moins conflictuels : la volonté de transmission des langues vernaculaires, des langues "identitaire" se heurte aux nécessités de la communication quotidienne en contexte pluriethnique et surtout au désir d'intégration avant tout économique à la société dominante exclusivement francophone. Les langues vernaculaires continuent-elles d'être transmises / parlées en ville ? Nous proposons ici un état des lieux de cette évolution linguistique au fil des générations à partir d'une étude approfondie des pratiques et des représentations dans un quartier situé dans la périphérie de Nouméa. Mots-clés :
contact des langues, transmission, conflit linguistique, pratiques langagières,
représentations, identité
Yaoundé concentre la diversité des langues et des cultures présentes sur le territoire camerounais. L'étude des représentations qu'ont ses habitants de la culture de l'oral et de l'écrit renseigne sur leur gestion d'un environnement sociolinguistique partagé entre deux langues officielles (anglais, français) et des langues grégaires. D'une part, la culture de l'écrit est un domaine réservé aux langues officielles, étant donné leur fonctionnalité et leur véhicularité univoque, où les langues grégaires sont absentes et considérées comme obsolètes. La promotion gouvernementale du bilinguisme officiel trouve écho dans l'expression généralisée du désir d'apprendre la langue anglaise. D'autre part, l'oralité est le terrain de la revendication identitaire, que l'on observe à la fois par la pratique des langues grégaires, mais aussi par la volonté affirmée de transmettre ces langues. Les langues vernaculaire font ainsi preuve d'un dynamisme remarquable au côté du français et de langues véhiculaires en quête de reconnaissance. Mots clés : Afrique,
représentation, ville, culture, fonction, véhiculaire, identité
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