Revue de sociolinguistique en ligne | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
N°1 | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Sommaire
ISSN : 1769-7425 |
Présentation par Foued Laroussi"Langue",
"nation", "identité", "ethnicité"
sont des notions inextricablement mêlées. Peut-on traiter de l'une
sans évoquer l'autre ? La question est posée. La réponse,
elle, n'est pas évidente. Ce numéro 1 de GLOTTOPOL n'a pas pour
objectif de ressasser des notions que les recherches philosophiques et sociologiques
ont largement explicitées mais de proposer d'en débattre dans une
approche sociolinguistique mettant l'accent sur la problématique linguistique.
Eu égard aux événements récents (éveil des
identités nationales, dislocation de certains Etats multinationaux, formation
de nouveaux groupes multinationaux, mondialisation des échanges
),
on peut estimer légitime de replacer le débat sur les rapports entre
langue et Etat-nation dans ce nouveau contexte mondial. Cela
va entraîner la confusion entre Etat et nation, préfigurant ainsi
l'ère des Etats-nations, sans que le concept primitif de "nation culturelle"
ne soit aboli pour autant. Aujourd'hui, les deux sens se superposent, et ce que
l'on désigne par "les mouvements nationalistes" n'est autre que
l'aspiration d'une nation culturelle à devenir un Etat souverain. Etat
que Max Weber (1971 : 416) définit comme "l'organisation séculière
de la puissance de la nation".
La nation constitue donc une forme politique récente utilisant l'existence
de liens ethniques pour construire, à partir d'eux, une unité politique
sur un territoire donné. Optant pour cette conception - la nation comme
projet politique - Ernest Gellner (1983 : 15) pense que ce sont les nationalismes
qui créent la nation : "Bien que certains facteurs objectifs soient
d'une grande importance pour la formation de la nation, l'élément
le plus essentiel est une volonté collective et efficace". Et c'est
ainsi que le patriotisme - lien sentimental unissant l'individu à sa nation
- suscite souvent les mouvements nationalistes, voire les conflits entre les nations
(cf. Laroussi, ici même). A
cela il faut ajouter la mondialisation des échanges économiques
tendant à faire du monde une sorte de village planétaire. Dans ce
contexte nouveau, l'Etat-nation peut-il maintenir encore une politique linguistique
centralisatrice qui s'appuie sur l'équation, une langue = une nation, et
inversement, ou dépend-il de plus en plus de l'organisation de l'économie
et des ententes politiques sur le plan supranational ? La mondialisation
des échanges économiques et par conséquent l'intensification
des flux transnationaux entraînent-ils le recul de la souveraineté
des Etats-nations ? Comment réagissent ces derniers au fait que la
formation de nouveaux ensembles politiques et économiques de libre-échange
introduit de nouveaux secteurs de gestion sur lesquels ces Etats n'exercent plus
de pouvoirs directs ? Le concept de souveraineté nationale étant
plus que jamais soumis à des contraintes supranationales, quelle politique
linguistique les Etats-nations peuvent-ils envisager dans un contexte où
de plus en plus de décisions leur échappent ? Est-il encore concevable
de maintenir une politique linguistique fondée sur le sentiment national ?
Dans
un article historique, consacré à la nation française, Guy
Lemarchand montre que le concept de "nation" est souvent confondu avec
des termes très voisins, "sentiment national", "nationalisme",
" ommunautarisme". Aussi se demande-t-il jusqu'où il faut remonter
dans le temps pour saisir les origines de la nation en France. Bien qu'il admette
que le développement de la philosophie des Lumières et la Révolution
de 1789 constituent un événement fondateur - celle-ci ayant remplacé
le sujet du roi par le citoyen - il nous invite à rechercher plus haut
dans le temps les origines de la nation française. C'est vers le XIIIe
siècle - écrit-il - qu'il faut probablement apercevoir les premiers
éléments de la nation. "C'est l'Etat monarchique, justifié
par le droit divin du roi, qui a commencé à assumer cette tâche
en mettant en uvre des procédures en partie volontaristes de centralisation
et d'unification." Mais "il ne faut pas exagérer l'ampleur des
innovations du XIIIe siècle et du Bas Moyen-Âge" car "la
nation française n'est pas encore née, se mettent en place seulement
des conditions nécessaires à son élaboration". Quant
à Dora Carpenter, toujours concernant le contexte français mais
à propos de la situation actuelle, elle consacre son texte à l'enseignement
de l'arabe en France. Rappelant le débat opposant, en France, défenseurs
de l'arabe standard et défenseurs des langues minorées, elle souligne
que mondialisation et nouveaux médias redonnent de la vigueur à
la dimension standard de la langue arabe. Mais elle conclut en proposant une sorte
de compromis selon lequel "l'enseignement de l'arabe ne peut plus faire l'impasse
sur la dimension locale (vernaculaire) ni sur la dimension standard (véhiculaire)
de la langue".
Cela étant dit, que l'on me permette de lever une ambiguïté
: le centre dont on parle n'est pas, me semble-t-il, que géographique,
il est surtout politique et idéologique. Partant il n'est pas facile, pour
une idéologie au service de l'unité nationale, de laisser la place
aux minorités linguistiques, voire de partager la décision avec
des centres d'intérêt périphériques. C'est l'essence
même de la nation qui est en jeu. Par
ailleurs s'agissant de situations différentes et éloignées
géographiquement, le cas de tamazight en Algérie et celui du Mercosur
en Amérique latine, on trouve un écho aux textes précédents
dans les articles de Mohand Akli Haddadou et de Samantha Chareille. Le texte de
Haddadou, consacré à la revendication berbère face à
la politique homogénéisante de l'Etat-nation algérien, montre
que les Berbères n'ont cessé de lutter pour la reconnaissance de
leur langue comme composante - au même titre que l'arabe - de la personnalité
algérienne. Face à cette revendication, le courant nationaliste
algérien a souvent "entretenu l'amalgame entre berbère et colonialisme",
qualifiant les berbérisants de désunionnistes et de séparatistes.
En dépit de cela, la revendication berbère persiste, se radicalise
(depuis le printemps berbère, 1980) et finit par arracher quelques concessions
: un certain infléchissement de la politique étatique, celle-ci
passant peu à peu de la négation totale de tamazight à la
reconnaissance de celui-ci comme langue nationale. Mais, aux yeux des promoteurs
de la langue berbère, cet acquis reste mineur, puisque la Constitution
algérienne - notamment dans son article 3 - continue à ne reconnaître
comme langue officielle que l'arabe littéraire. Le statut de tamazight
reste donc entièrement posé. Que conclure ? Le constat est clair : que l'on se penche sur la situation française, maghrébine, biélorusse ou turque, force est de constater que la construction de l'Etat-nation va de pair avec la mise en place d'une politique linguistique homogénéisante et unificatrice. L'idéologie au service de l'Etat-nation, cherchant à produire l'unité nationale, minimise les groupes linguistiques susceptibles de la mettre en cause. Enfin, si l'on admet que la nation continue à être le lieu de l'exercice de la démocratie, ne serait-ce qu'en France, il reste que l'un des aspects fondamentaux de cette démocratie est le droit des minorités à disposer de leurs langues.
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Résumés
Presque absente depuis 1950 de la recherche historique, sans doute sous l'influence de l'école des Annales qui ne s'intéressait guère à l'histoire politique, la question de la nation est revenue à l'ordre du jour des préoccupations des historiens français à partir des années 1980. Jusqu'où faut-il remonter dans le temps pour saisir ses origines ? Si la Révolution remplace effectivement le sujet du roi par le citoyen, elle ne part pas de rien en 1789, remarque de simple bon sens qui a amené au XIXe siècle à rechercher plus haut dans le temps les origines de la nation. C'est vers le XIIIe siècle qu'il faut probablement aller pour apercevoir les premiers éléments qui constitueront les bases de la nation future. En effet d'abord à ce moment est constitué un Etat réellement unifié étendu et puissant avec, sous Philippe-Auguste, l'annexion du Domaine royal jusque là à peine plus gros que trois départements, de la Normandie, du Maine, de l'Anjou, de la Touraine, du Poitou et de la Saintonge, puis avec la Croisade des Albigeois la descente vers le Sud et la mainmise sur le Languedoc (1271). En même temps dans les cercles cultivés a commencé à s'élaborer une idéologie politique qui prépare la voie à l'idée de nation en portant l'attention et l'attachement sentimental sur deux entités qui sont plus vastes et plus durables que la personne du roi. Néanmoins il ne faut pas exagérer l'ampleur des innovations du XIIIe siècle et du Bas Moyen-Age, la nation France n'est pas encore née à l'époque, se mettent en place seulement des conditions nécessaires à son élaboration. Processus complexe et daté, combinant les structures économiques et démographiques à l'ère de la montée du capitalisme marchand, avant même le capitalisme industriel ainsi que mémoire et culture, la nation est toujours inachevée et remise en cause, elle n'est pas une réalité éternelle. Le mécanisme d'inclusion-exclusion qui l'anime dès la période de Jeanne d'Arc et la lutte contre l'envahisseur anglais, aboutit à former une communauté de quelques dizaines de millions d'individus reposant sur un certain état des techniques de production et d'échanges qui sont elles-mêmes évolutives. Mots clés : France, nation, histoire
Impulsée sous la Révolution française, la politique linguistique de francisation dont les instituteurs avaient été pressentis comme devant être les principaux agents, ne prendra effet que sous la IIIe République. C'est en Bretagne, à la fin des années 1880, que l'inspecteur général de l'enseignement primaire, Irénée Carré, se verra confier la mission d'expérimenter sa "méthode maternelle" dont les principes étaient déjà connus des enseignants alsaciens qui s'étaient eux-mêmes inspirés des pratiques pédagogiques allemandes. L'usage exclusif du français comme médium d'instruction constituait le fondement sur lequel reposait cette méthode. Mais derrière les motivations pédagogiques avancées par Irénée Carré pour justifier le refus de prendre en considération la langue maternelle des élèves, se cachaient en réalité des visées idéologiques s'appuyant notamment sur une vision stéréotypée globalement négative des Bretons véhiculée par la littérature française tout au long du XIXe siècle. Divers témoignages d'enseignants glanés dans notre corpus constitué de revues pédagogiques nous conduiront à nous interroger sur l'efficacité réelle de la "Méthode Carré" et sur les effets que celle-ci a pu produire sur des générations d'enfants que d'aucuns qualifient de "générations sacrifiées". Mots clés
: Bretagne, IIIe République, enseignement primaire, francisation, idéologie,
stéréotypes, méthode directe, méthode maternelle,
méthode Carré, langue maternelle
Ce travail analyse le débat autour de l'évaluation de l'épreuve facultative d'arabe au baccalauréat en France. Les points de vue défendant l'enseignement d'un arabe dialectal sans référence à l'arabe littéral sont confrontées aux positions défendant l'enseignement d'un arabe littéral intégrant les dialectes. Sont examinés le statut de la langue arabe en France, sa particularité dans le système éducatif français, ainsi que la transformation du paysage linguistique du monde arabe. Deux entretiens avec deux enseignants d'arabe soulignent l'évolution des études d'arabe et du profil des apprenants sur deux générations. Mots-clés : arabe littéral, arabe dialectal, variation linguistique, langues d'immigration, langues sans territoire, rapport Cerquiglini
Comment peut-on parler aujourd'hui de politiques linguistiques ?
Depuis une vingtaine d'années, les conditions en ont été
profondément modifiées, tant du côté de l'environnement
mondial que de celui des communautés de langues. L'Etat qui en fut le pilier
a vu son rôle amoindri. Il est donc utile d'engager une nouvelle réflexion
sur des situations dont les termes sont apparemment restés les mêmes,
mais recouvrent des réalités différentes et changeantes. Mots clés :
Maghreb, arabofrancophonie, politique linguistique, mondialisation
Cet article rend compte de ce que fut la réforme linguistique turque dans les années 1920. L'expression dil devrimi ("révolution linguistique"), qui la désigne depuis, n'a rien d'excessif, puisque l'écart entre la langue turco-ottomane écrite et parlée uniquement par l'élite ottomane et la langue turque du peuple était telle que l'intercommunication entre ces deux entités était totalement absente. Cette réforme linguistique ne peut être pleinement appréhendée que située dans son contexte socio-politique. Celui-ci peut être décrit, d'une part à l'aide des facteurs politiques, sociaux, culturels et religieux, et d'autre part, par des facteurs purement linguistiques. Ces facteurs sont explicités dans une perspective historique. A travers la réforme de l'écriture et les modifications grammaticales et lexicales qui furent les éléments linguistiques clés de cette politique linguistique, l'objectif de son instigateur, Mustafa Kemal Atatürk (le fondateur de la République de Turquie), était d'aboutir à l'öz türkçe (une langue pure turque). C'est pourquoi, elle est à analyser comme le versant linguistique d'une politique de modernisation et de nationalisme fondée à la fois sur une opposition totale aux traces de l'Empire ottoman et une volonté de laïcisation et de rapprochement avec l'Europe. Mots clés : turc, kurde, aménagement, réforme linguistique, alphabet turc latin, épuration linguistique
Il s'agit de présenter, à la lueur de l'exemple d'Alicante, métropole de la côté méditerranéenne, le paysage et les dynamiques linguistiques de l'actuel Etat espagnol. La tentative de gestion linguistique de la diversité est mise en évidence, à côté de la gestion de la langue nationale. Ce qui s'apparente aux carences du dispositif est souligné tout autant que le lien entre langues et choix politiques. L'analyse s'appuie sur des données langagières recueillies in vivo. Mots-clés : immigration, insécurité épilinguistique, mondialisation, normalisation, standards linguistiques
Le Bélarus, ancienne République Socialiste
Soviétique de Biélorussie, offre une illustration originale des
rapports complexes qui peuvent lier langue, nation, Etat. Mots
clés : Bélarus, biélorusse, URSS, politique linguistique,
assimilation linguo-culturelle
Nouvel espace politique, économique et professionnel, le Marché commun du Sud (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) est également un nouvel espace linguistique et cuturel, lieu de références plurielles. Déterminé par son multilinguisme et son multiculturalisme, le Mercosur n'a de sens que dans le respect des langues et des cultures. L'idée que le sentiment d'appartenance au Marché commun est contenu en germe dans chaque culture nationale n'est qu'une pure fiction. La résurgence des replis identitaires dans les Etats-membres démontre d'ailleurs que l'identité mercosurienne ne peut être ni universelle, ce qui reviendrait à nier les différences, ni particulière, ce qui contribuerait à les exacerber. On le voit bien, le problème est loin d'être simple. L'issue de cette quête identitaire dépendra de la capacité à ménager une place à la diversité culturelle sans perdre le sens d'une citoyenneté mercosurienne qui soit un lieu d'allégeance commune. Nous nous proposons à travers cette recherche d'aborder à partir du cas du Mercosur et du Chili un ensemble de questions relatives à l'articulation entre les politiques linguistiques nationales (ou des absences apparentes de politiques linguistiques nationales) et les développements économiques macro-régionaux, sur fond de régionalisation/mondialisation d'une part, d'affirmations communautaires, identitaires et "locales" d'autre part. De ce point de vue, nous verrons que le Mercosur - tel qu'il est dans les faits mais aussi tel qu'il est représenté - constitue moins un moteur central qu'une délimitation dynamique d'un espace en mouvement où il opère comme révélateur et accélérateur voire instrument de conscientisation pour une réflexion et des initiatives intéressant la politique des langues. Mots-clefs
: Mercosur, langues, cultures, Amérique latine, aménagement linguistique,
Etats, nations.
Depuis la crise du mouvement nationaliste de 1949, la question berbère ne cesse de se poser en Algérie. Défendue comme une dimension essentielle de la personnalité algérienne, la langue berbère est dénoncée comme un facteur de division de la nation algérienne par les courants arabistes. A l'indépendance, les différents régimes qui se sont succédés ont réprimé toute volonté de promotion de la langue berbère mais ils n'ont pas réussi à étouffer le mouvement de revendication qui s'est développé en Kabylie. A partir de 1980, le mouvement, porté dans la rue par la jeunesse, va exiger la reconnaissance de la langue berbère et arracher des acquis. Les événements tragiques du printemps 2001 radicalisent la revendication et aboutissent à la reconnaissance du berbère comme langue nationale. Mots clés : Maghreb, Algérie, revendication berbère, Kabylie
Deux courants idéologico-politiques
majeurs, le nationalisme arabe (nassérisme et baasisme) et l'islamisme,
ont largement influencé les politiques linguistiques des Etats-nations
au Maghreb. Bien qu'ils oeuvrent pour deux objectifs très différents,
le premier pour un Etat arabe supranational, le second pour un Etat islamique,
les deux courants s'accordent pour valoriser l'arabe littéraire et minorer
les variété maternelles, considérées comme anti-nationales
car symbolisant la désunion et le séparatisme. Partant, les politiques
linguistiques mises en uvre par les Etats du Maghreb devaient répondre
à ces exigences, légitimer et consolider l'arabe littéraire,
seule langue capable d'unifier la nation arabe.
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